Hier 17 mars c’était le 150e anniversaire de la découverte, ou plutôt de la manifestation, à un prêtre français installé à Nagasaki, des chrétiens cachés du Japon.
Les célébrations se sont déroulées du 15 au 17 mars en divers lieux, et se poursuivent les 21 et 22 mars dans la communauté catholique francophone de Tokyo.
Hier a eu lieu une messe solennelle, concélébrée par vingt évêques, commémorant la rencontre bouleversante que fit le P. Petitjean d’un groupe de personnes venues lui demander « Où est la statue de sainte Marie ? », dans un pays d’où le christianisme avait été éradiqué deux siècles plus tôt. La messe a été célébrée dans l’église même d’Oura, construite par le P. Petitjean, où avait eu lieu la scène.
On lira la relation de Mgr Riocreux ici.
Voir aussi ma note (et son illustration) sur le musée dédié aux chrétiens cachés qui s'est ouvert récemment à Nagasaki.
Et voici l’histoire de l’événement du 17 mars 1865, telle qu’elle est exposée (de façon historique, sans enjolivements ni amplifications) par Eglises d’Asie :
Un mois environ après l’inauguration de l’église d’Oura, le 17 mars 1865, le P. Petitjean vit de sa fenêtre un groupe de douze à quinze personnes,
hommes, femmes et enfants, qui se tenaient avec respect devant la porte fermée de l’édifice.
Il ressentit une impulsion intérieure le poussant à aller trouver ces gens, et alla ouvrir la porte de l’église. Il précéda dans la nef les visiteurs, en priant intensément. Il s’agenouilla devant l’autel et adressa au Christ de l’Eucharistie une fervente prière : "Je conjurais le Seigneur, écrit-il, de mettre sur mes lèvres des paroles propres à toucher les cœurs et à Lui gagner des adorateurs parmi ceux qui m’entouraient". Et voilà que, pendant qu’il priait, trois femmes de cinquante à soixante ans s’agenouillèrent tout près de lui. L’une d’elles mit sa main sur la poitrine et lui dit à voix basse : "Notre cœur à nous tous qui sommes ici est le même que le vôtre". Et la conversation s’engagea : "Vraiment ? Mais d’où êtes-vous donc ?" "Nous sommes tous d’Urakami. A Urakami, presque tous ont le même cœur que nous". Et aussitôt la femme qui avait répondu posa à son tour une question : "Où est la statue de sainte Marie (sancta Maria) ? "
Le P. Petitjean n’eut plus alors aucun doute : il était bien en présence de descendants des anciens chrétiens. Il conduisit le groupe devant la statue de la Sainte Vierge. De nouveau tous s’agenouillèrent et se mirent à prier. Mais ils ne pouvaient contenir davantage la joie qui débordait de leur cœur : "Oui, c’est bien la Sainte Vierge. Voyez sur son bras son divin Fils Jésus".
La confiance établie, les questions se mirent à pleuvoir au sujet de Deus-sama, Jesus-sama, Maria-sama (sama est un suffixe qu’on ajoute au nom des personnes, qui signifie quelque chose comme Monseigneur). Puis les visiteurs en vinrent à donner une idée de leur vie chrétienne : "Nous faisons la fête du Seigneur Jésus au vingt-cinquième jour de la gelée blanche. On nous a enseigné que ce jour-là il est né dans une étable, puis qu’il a grandi dans la pauvreté et la souffrance, et qu’à trente trois ans pour le salut de nos âmes il est mort sur la croix. En ce moment nous sommes au temps du chagrin. Avez-vous vous aussi ces solennités ?"
Le P. Petitjean, qui avait compris qu’il s’agissait du carême, répondit : "Oui, nous sommes aujourd’hui le dix-septième jour du temps chagrin..."
Ainsi l’espoir qu’avaient au cœur tous les missionnaires ayant pu pénétrer au Japon ces dernières années, n’était pas vain. Il y avait bien encore en cette fin du XIXe siècle des descendants des anciens chrétiens restés fidèles à la foi de leurs ancêtres, malgré plus de deux cents ans de fermeture du Japon à l’étranger, durant lesquels toute manifestation visible d’appartenance au christianisme avait été sévèrement proscrite.
Pendant ces deux cents ans les chrétiens avaient vécu sans aucun prêtre pour leur administrer les sacrements ou leur venir en aide, sans possibilité d’entrer en relation avec l’Église dans le reste du monde. Et pourtant ils avaient gardé "le même cœur" que les chrétiens d’Europe.
Bientôt ce fut presque chaque jour que des groupes de chrétiens se présentèrent à l’église d’Oura pour signaler l’existence de la communauté à laquelle ils appartenaient et demander à être instruits davantage. Selon une estimation faite à l’époque environ cinquante mille chrétiens vivaient dans la région.
Un jour un chrétien venu des Gotô se présenta accompagné d’un "baptiseur" qui, après avoir exposé sa dévotion au chapelet, récité sans Gloria Patri comme c’était la coutume au XVIIe siècle, posa ensuite deux questions : les missionnaires connaissent-ils le chef du Royaume de Rome ? les missionnaires sont-ils mariés ? Le baptiseur se réjouit d’entendre la réponse : le nom du Pape, Pie IX, et l’annonce que les missionnaires gardaient le célibat. Il sembla que, pour lui, les trois signes les plus évidents de la foi catholique des nouveaux arrivés avaient été la dévotion à Marie, l’union avec le successeur de Pierre et le célibat des prêtres.