Certes, il est beaucoup moins grave d’affirmer que saint Jean-Baptiste a douté de Jésus, que de laisser entendre que la Mère de Dieu doutait de son Fils. Toutefois ce n’est ni digne ni cohérent. Lorsque saint Jean-Baptiste en prison envoie des disciples à Jésus, c’est pour que les disciples comprennent de visu que Jésus est vraiment le Messie que Jean annonçait, malgré ce qu’on leur raconte (par exemple : si ses disciples ne jeûnent pas, alors que nous jeûnons, c’est qu’il ne doit pas être le Messie.)
Voici ce qu’en disent saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, saint Hilaire, et l’ample mise en scène oratoire qu’en fait Bossuet. J’ai la faiblesse de croire qu’ils ont autant d’autorité en la matière (euphémisme) que l’ancien archevêque de Buenos Aires.
Saint Jérôme :
Ce n'est point par ignorance qu'il interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la résurrection d'un mort. C'est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d'être mis à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu'ils aient occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu'ils puissent croire en lui, et s'instruire eux-mêmes en l'interrogeant au nom de leur maître.
Saint Jean Chrysostome :
Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il leur parlait sans cesse du Christ, c'est-à-dire qu'il leur recommandait de croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il redoute qu'ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l'école duquel il a voulu les renvoyer tous dès le commencement. S'il leur avait dit : Allez à lui, parce qu'il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas persuadés ; ils auraient cru qu'il parlait ainsi par un profond sentiment d'humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu'auparavant. Que fait-il donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n'en envoie que deux qu'il regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu'ils apprennent par les faits eux-mêmes la distance qui les sépare de Jésus-Christ. Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas " C'est moi ; " car cette réponse aurait indisposé ceux qui l'entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l'auraient pas dit, ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : " Vous vous rendez donc témoignage à vous-même ? " Il veut donc les instruire à l'école de ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des boiteux, et beaucoup d'autres malades, non pour l'enseignement de Jean-Baptiste, qui n'en avait pas besoin, mais pour l'instruction de ses disciples qui étaient dans le doute.
Saint Hilaire :
Il est certain que l'erreur ne s'est point mêlée à cette connaissance parfaite qu'avait saint Jean, lui qui avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l'Esprit saint lui ait fait défaut dans la prison, alors que plus tard l'apôtre devait répandre la lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers. Jean-Baptiste n'agit donc pas ici pour éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les envoie considérer les œuvres de Jésus afin de leur apprendre qu'il n'en a point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité à ses paroles, et qu'ils n'attendent pas un autre Christ que celui qui avait pour lui le témoignage des œuvres.
Bossuet :
Si vous voyez aujourd'hui que saint Jean-Baptiste envoie ses disciples à notre Sauveur pour lui demander quel il est, ne vous persuadez pas pour cela que l'Elie du Nouveau Testament et le grand précurseur du Messie ait ignoré le Seigneur auquel il venait préparer les voies. Je sais qu'il y a eu quelques personnes très doctes, et entre autres le grave Tertullien, qui ont cru que dans le temps que saint Jean-Baptiste fit faire cette question au Sauveur, la lumière prophétique qui l'avait jusqu'alors éclairé avait été éteinte en son âme; mais je ne craindrai point de vous dire, avec le respect que je dois aux auteurs de ce sentiment, qu'il n'y a aucune vraisemblance dans cette pensée. « Abraham a vu le jour de Notre Seigneur ; Isaïe a vu sa gloire et nous eu a parlé », nous dit l'Evangéliste saint Jean ; tous les prophètes l'ont connu en esprit ; et le plus grand des prophètes l'aura ignoré ! Celui qui a été envoyé pour rendre témoignage de la lumière, aura été lui-même dans les ténèbres ! Et après avoir tant de fois désigné au peuple cet Agneau de Dieu qui purge les péchés du monde, après avoir vu le Saint-Esprit descendre sur lui lorsqu'il voulut être baptisé de sa main, tout d'un coup il aura oublié ce qu'il a fait connaître à tant de personnes ? Vous voyez bien, Fidèles, que cela n’a aucune apparence.
Mais pourquoi donc, direz-vous, pourquoi lui envoyer ses disciples pour s'informer de lui s'il est vrai qu'il soit le Messie ? Qui interroge, il cherche ; qui cherche, il ignore. S'il connaissait quel était Jésus-Christ, quelle raison peut-il avoir de le lui faire demander ? Ne craignait-il pas que son doute ébranlât la foi de plusieurs et diminuât beaucoup de l'autorité du témoignage certain qu'il a si souvent rendu au Sauveur? — C'est tout ce qu'on nous peut opposer. Mais cette objection ne m'étonne pas ; au contraire, ce qu'on m'oppose, je veux le tirer à mon avantage. Je dis qu'il interroge parce qu'il sait ; il demande au Sauveur Jésus quel il est, parce qu'il connaît très bien quel il est. Comment cela, direz-vous? — C'est ici, chrétiens, la vraie explication de notre évangile et le fondement nécessaire de tout ce discours. Saint Jean, qui connaissait le Sauveur qu'il avait prêché tant de fois, savait bien qu'il n'appartenait qu'à lui seul de dire quel il était et de se manifester aux hommes, desquels il venait être le précepteur. C'est pourquoi il lui envoie ses disciples, afin qu'ils soient instruits par lui-même touchant sa venue, que lui seul était capable de nous déclarer. Ainsi n'appréhendez pas, chrétiens, qu'il détruise le témoignage qu'il a donné de Notre Seigneur ; car lui faisant demander à lui-même ce qu'il faut croire de sa personne, il fait bien voir qu'il reconnaît en lui une autorité infaillible et qu'il ne lui envoie ses disciples que pour être formés de sa main et enseignés de sa propre bouche. Ne pouvant plus annoncer sa venue aux hommes, parce qu'il était retenu aux prisons d'Hérode, il prie Notre Seigneur de se faire connaître lui-même ; et lui faisant faire cette ambassade en présence de tout le peuple, il a dessein de tirer de lui quelque instruction mémorable pour les spectateurs, qui s'imaginaient le Messie tout autre qu'il ne devait être.
En effet, il ne fut point trompé. Jésus, qui connaissait sa pensée et qui voulait récompenser son humilité, fait voir à ses disciples les effets de sa puissance infinie. Il guérit devant eux tous les malades qui se présentèrent; il leur découvre son cœur; il leur donne des avis importants pour connaître parfaitement le secret de Dieu et détruire une fausse idée du Messie qui avait préoccupé les Juifs trop charnels ; et sachant que son bien-aimé précurseur ne pouvait avoir de plus grande joie que d'apprendre la gloire de son bon maître, il commande aux envoyés de saint Jean de lui en rapporter les nouvelles, lui voulant donner cette consolation dans une captivité qu'il souffrait pour l'amour de lui. « Allez-vous-en, dit-il, rapporter à Jean » les merveilles que vous avez vues » ; dites-lui que les sourds entendent, que les aveugles reçoivent la vue, que la vie est rendue aux morts, que l'Évangile est annoncé aux pauvres, et qu'heureux est celui qui n'est point scandalisé en moi. Comme s'il eût dit : Les Juifs, trompés par l'écorce de la lettre et par les sentiments de la chair, attendent le Messie comme un puissant roi qui, se mettant à la tête de grandes armées, subjuguera tous leurs ennemis et qui se fera reconnaître par l'éclat d'une pompe mondaine et par une magnificence royale. Mais Jean, instruit des secrets de Dieu, sait qu'il doit être manifesté par des marques bien plus augustes, encore que selon le monde elles aient beaucoup moins d'apparent. Allez-vous-en donc, et lui racontez les guérisons admirables que vous avez vues de vos propres yeux. Dites-lui que l'auteur de tant de miracles ne dédaigne pas de converser parmi les pauvres; au contraire, qu'il les assemble près de sa personne pour les entretenir familièrement des mystères du royaume de Dieu et des vérités éternelles; et toutefois que nonobstant et le pouvoir par lequel je fais de si grandes choses, et l'incroyable douceur par laquelle je condescends à l'infirmité des plus pauvres et des plus abjects, bienheureux est celui à qui je ne donne point de scandale. Dites ceci à Jean ; à ces marques il connaîtra bien qui je suis.
Tel est le sens de tout ce discours, très court en apparence et très simple, mais plein d'un si grand sens et de tant de remarques illustres tirées des prophéties anciennes qui parlent de la grandeur du Messie, que toute l'éloquence humaine ne suffirait pas à vous en étaler les richesses.
Commentaires
Dans la question de saint Jean-Baptiste et dans la réponse de Notre Seigneur, il y a aussi un témoignage pour nous, qui croyons sans avoir vu. Le Christ reprend dans son discours les mots d'Isaïe, qui avait donc prophétisé littéralement, Ainsi les évangéliste n'ont pas la berlue quand ils nous relatent les miracles de Jésus.
De plus, c'est l'occasion pour le Christ de situer son cousin dans l'échelle de la sainteté : "Parmi les enfants des femmes, il n'en a pas surgi de plus grand."
Enfin, la question du Baptiste témoigne d'une profonde confiance en Jésus. A quoi bon, en effet, demander à celui qu'on soupçonnerait d'être un Crétois menteur s'il dit la vérité ?
En effet. "Tout ce qui a été écrit l'a été pour notre instruction."
C'est avec crainte et tremblement que, devant de si vénérables commentaires des Pères de l'Eglise, j'ose émettre un avis : Jean-Baptiste était dans une prison d'Hérode sale, humide, obscure, mal ventilée, il était mal nourri, isolé, le moral au plus bas, etc. etc.
Dans ces conditions, il est normal que le doute l'ait pris et qu'il ait cherché à se faire confirmer que Jésus est bien le Christ.
Je ne vois là qu'une réaction tout à fait normale et compréhensible. Mais nul doute qu'il ait été rassuré par les paroles de Jésus et ce que ses disciples lui ont rapporté.
Vous oubliez que Jean n'était pas comme nous. Il était pur de tout péché, et de toute tentation, ayant été purifié du péché originel lors de la Visitation.
Il est aberrant - ou au moins incohérent - qu'il ait pu douter du Christ après l'annonce qu'il en avait faite.
Alors que l'explication des pères est limpide. En résumé, Jean demande à Jésus de citer Isaïe pour montrer à ses disciples qu'il est bien celui qui doit venir, puisqu'il accomplit la prophétie.
Sur Aleteia, on persiste et signe : «François a encouragé les prêtres à demander « la grâce du doute ». Car, tant de fois, a-t-il conclu, à la fin de sa vie, est-il arrivé qu’un prêtre se demande : « mais tout ce à quoi j’ai cru est-il vrai ou ne sont-ce que des fantasmes ? ».»
http://fr.aleteia.org/2016/12/18/le-pretre-rigide-et-mondain-un-fonctionnaire-ridicule-qui-fait-fuir-tout-le-monde/
"la grâce du doute" ?
tout petit catholique et pêcheur ordinaire , mon univers s'écroule ! Le doute , la grâce du doute ? Mais alors Pierre qui s'avance sur les flots à la demande de Jésus , pourquoi s'enfonce-t-il soudain dans la mer . A-t-il pris soudainement conscience de la déraison de l'appel de Jésus ? d'y réfléchir , de douter et à partir de là se noyer. Est-ce la Foi ou l'instinct de survie qui appelle le Maître à son secours.
"Homme de peu de Foi " dira Jésus.
Alors la grâce du doute :non, la transcendance mille fois oui.
Pardonnez ma présomption .
J'avais cru comprendre que vous n'étiez pourtant pas un grand fan de Bossuet :)
Bossuet est un monde, et il y en a pour tout le monde...
Et quand il orchestre ainsi la tradition patristique il n'y a pas de raison de s'en priver...