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Saints Rogatien et Félicissime

Ce jour on peut faire mémoire du pape saint Evariste « qui, sous l'empereur Adrien, empourpra de son sang l'Eglise de Dieu », comme dit le martyrologe. Lequel dit ensuite :

En Afrique, les saints martyrs Rogatien prêtre et Félicissime. Pendant la persécution de Valérien et de Gallien, ils reçurent la couronne d'un glorieux martyre. Saint Cyprien fait leur éloge dans sa Lettre aux confesseurs.

Voici la lettre de saint Cyprien. Rogatien y apparaît comme l’homme de confiance, le vicaire, de l’évêque en exil. (Ne pas confondre avec un autre Rogatien, destinataire d’une autre lettre de saint Cyprien, mais qui était évêque, alors que celui-ci est un prêtre de Carthage.)

Je vous envoie mon salut, frères très chers, souhaitant d'ailleurs de jouir personnellement de votre présence, si les circonstances me permettaient d'aller vous rejoindre. Que pourrait-il, en effet, m'arriver de plus souhaitable et le plus agréable que d'être parmi vous et entre vos bras, entouré de ces mains pures et innocentes, qui ont gardé leur fidélité au Seigneur, en repoussant avec mépris un culte sacrilège ? Quelle joie plus haute que de baiser ces lèvres qui ont glorieusement confessé le Seigneur, que d'être regardé de ces yeux qui, en se détournant avec mépris du siècle, ont mérité de voir Dieu ? Mais puisque ce bonheur n'est point possible, je vous envoie cette lettre que vous verrez, que vous entendrez à ma place, pour vous féliciter tous ensemble et vous presser d'être vaillants et fermes à persévérer dans votre confession glorieuse et de marcher avec un religieux courage par la voie des divines faveurs où vous avez mis le pied, vers la couronne à recevoir. Le Seigneur sera votre guide et votre protecteur. Il a dit : "Voici que Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde." (Mt 28,20). O bienheureuse prison, qu'a illuminée votre présence. O bienheureuse prison, qui envoie au ciel des hommes de Dieu. O ténèbres plus brillantes que le soleil, plus éclatantes que le flambeau du monde, qui renferment des temples de Dieu, des membres sanctifiés par la confession de son nom.

Qu'il n'y ait rien maintenant dans vos cœurs et dans vos âmes que la pensée des préceptes divins, et des célestes recommandations par lesquelles le Saint-Esprit n'a cessé de nous exhorter à supporter les souffrances du martyre. Que personne ne pense à la mort, mais à l'immortalité, ni à la souffrance temporelle, mais à l'éternelle gloire. Il est écrit : "la mort des justes est précieuse aux yeux de Dieu." (Ps 115,15). Et encore : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme affligée ; un cœur broyé et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). Et encore (à l'endroit où la divine Écriture parle des tourments qui consacrent les martyrs de Dieu et les sanctifient par l'épreuve même de leurs souffrances) : "S'ils ont souffert devant les hommes, leur Espérance est pleine de l'immortalité. Petite fut leur affliction, grand sera leur bonheur. Car Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de Lui. Comme l'or, dans la fournaise, Il les a éprouvés, et Il les a accueillis comme une victime holocauste. Et, le moment venu, Il les regardera favorablement. Ils jugeront les nations, et seront les maîtres des peuples, et leur Dieu régnera éternellement." (Sag 3,4-8). Quand donc vous songez que vous jugerez et régnerez avec le Christ notre Seigneur, vous devez nécessairement tressaillir d'allégresse, et mépriser les supplices présents par la pensée des biens à venir. Car vous savez que c'est l'ordre, établi dès l'origine du monde, que la justice souffre ici-bas, en lutte avec le siècle, puisque, au commencement, le juste Abel est mis à mort, et ouvre la voie à tous les justes et aux prophètes et aux apôtres. Le Seigneur aussi leur a laissé à tous un exemple en sa Personne en enseignant qu'on n'arrive point à son royaume, si on ne Le suit par la route qu'Il a suivie Lui-même : "Celui qui aime son âme dans ce monde la perdra et celui qui haïi son âme dans ce monde la sauvera pour la vie éternelle." (Jn 12,25). Et encore : "Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer n'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer le corps et l'âme, en les jetant dans la géhenne." (Mt 10,28). Paul aussi nous exhorte, puisque nous souhaitons de parvenir à ce que le Seigneur nous a promis, à imiter le Seigneur en toutes choses : "Nous sommes, dit-il, les fils de Dieu ; si nous sommes ses fils, nous sommes aussi ses héritiers, et les cohéritiers du Christ, à la condition de souffrir avec Lui pour être glorifiés avec Lui." (Rom 8,16-17). Il établit une comparaison entre le temps présent et la gloire à venir : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir, qui sera manifestée en nous" (Rom 8,18). La pensée de cette gloire nous doit faire supporter toutes les épreuves et persécutions, parce que, si nombreuses que soient les épreuves des justes, il n'en est point dont ne soient délivrés ceux qui ont confiance en Dieu.

De bienheureuses femmes, qui partagent la gloire de votre confession, fidèles au Seigneur et plus fortes que leur sexe, ne sont pas seulement près de recevoir elles-mêmes la couronne, mais ont, de plus, donné aux autres femmes un exemple de courage. Et enfin, pour que rien ne manquât à la gloire de votre groupe, que tout âge, et tout sexe fût à l'honneur, des enfants mêmes ont été associés, de par la divine Bonté, à votre confession glorieuse : c'est à peu près la répétition de ce qui est arrivé aux glorieux enfants Ananias, Azarias et Misaël. Enfermés dans la fournaise, ils virent le feu reculer devant eux et les flammes leur faire une place pleine de fraîcheur : le Seigneur leur était présent, et montrait que l'ardeur du feu ne peut rien contre les confesseurs et les martyrs, mais qu'au contraire ceux qui croient en Dieu, demeurent sains et saufs en toute circonstance.

Mais considérez avec un peu d'attention, je le demande à votre piété, quelle a été la foi de ces enfants, qui ont ainsi mérité la grâce du Seigneur. Prêts à tout, comme nous devons tous l'être, ils disent au roi : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera, ô roi, de vos mains. Et quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue que vous avez fait élever." (Dan 3,16-18). Ils croyaient et savaient par leur foi qu'ils pouvaient être délivrés du supplice présent ; ils ne voulurent pourtant pas le proclamer et s'en prévaloir, mais ils dirent : "et quand même cela ne serait pas", pour que leur confession ne perdît rien de son mérite par l'absence du témoignage des souffrances. Ils ajoutèrent que tout était possible à Dieu, mais que néanmoins leur assurance ne se fondait pas sur l'espoir d'une délivrance actuelle, mais sur la pensée de la délivrance et de la sécurité de l'éternelle gloire.

Demeurant fidèles, nous aussi, à ces sentiments et les ranimant en nous le jour et la nuit, allons vers Dieu de tout l'élan de notre cœur ; et en méprisant le présent, ne songeons qu'à l'avenir, à la jouissance du royaume éternel, aux embrassements et aux baisers du Seigneur, à la vue de Dieu ! Ainsi vous suivrez en tout le prêtre Rogatien, glorieux vieillard, qui grâce à la divine Bonté et à sa foi vaillante, vous montre la route à honorer notre temps. Avec notre frère Félicissime, toujours calme et sage, soutenant l'assaut d'un peuple furieux, il vous a d'abord préparé une place en prison, et maintenant encore, votre fourrier en quelque sorte, il vous précède. Nous demandons à Dieu, dans de continuelles prières, cet aboutissement pour vous, afin que ce qui a été commencé venant à sa perfection, de ceux dont il a fait des confesseurs il fasse des couronnés. Je souhaite frères très chers et bienheureux, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous parveniez à la gloire de la couronne céleste.

Traduction par l'abbé Thibaut, Tours, 1869.

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