François réunit aujourd’hui et demain un consistoire destiné à « réfléchir » à la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium de réforme de la curie. En fait il s’agit pour le pape de faire entériner le texte par les cardinaux sans discussion. Car il n’est prévu ni question ni intervention ni débat. Conformément à la pratique habituelle du pape dictateur.
Cependant deux cardinaux ont pris les devants pour dénoncer l’un des aspects phares de la réforme : la possibilité pour le pape de nommer des laïcs à la tête des dicastères.
Il est hélas significatif que ces cardinaux ne soient que deux, et surtout qu’ils ne soient pas du tout du côté tradi : il s’agit de Ouellet et Kasper. Et ils affirment que cette réforme est contraire à l’enseignement de Vatican II. Ce qui est vrai.
Sans doute cela montre-t-il que les cardinaux non plus n’ont pas lu les textes de Vatican II. A l’exception de ces deux-là, et vraisemblablement de quelques autres qui placent l’obéissance aveugle au pape avant la vérité.
Les fonctions de ces deux cardinaux expliquent qu’ils soient un peu au fait de la question : le premier est le préfet du dicastère pour les évêques, le second a longtemps été président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens.
En bref, Vatican II a enfin établi que l’épiscopat est sacramentel, la plénitude du sacrement de l’ordre. L’Eglise d’Occident au moyen âge avait progressivement adopté le mode de fonctionnement, donc aussi le mode de pensée, de la féodalité. Lorsque la doctrine s’est cristallisée à la Renaissance, notamment au concile de Trente, on a vu le sacrement de l’ordre comme le sacrement qui fait les prêtres, dont certains étaient « élevés à la dignité d’évêque », ce qui leur donnait divers pouvoirs. A commencer par le « pouvoir » d’ordonner des prêtres en leur « conférant » les instruments nécessaires pour célébrer la messe. Et il aura fallu attendre Pie XII pour que l’Eglise d’Occident admette enfin que le sacrement de l’ordre est transmis par l’imposition des mains (comme le disait saint Paul !), et non par la « porrection des instruments ».
La doctrine élaborée en ces temps-là conduisait au fait que le « pouvoir » n’était pas intimement lié au sacrement. Et c’est ainsi que des laïcs pouvaient être cardinaux et gouverner des diocèses, ou être abbés commendataires. Ce qui est une aberration du point de vue de l’Eglise du premier millénaire, et toujours une aberration pour les Eglises d’Orient, d’où sans doute la réaction du cardinal Kasper.
Ces deux cardinaux disent donc haut et fort que François veut en revenir aux aberrations d’antan et qu’il s’oppose à l’enseignement de Vatican II.
Ce qui est assez savoureux, par-delà l’état de déliquescence qui est ainsi une fois de plus souligné.
Commentaires
Il me semble qu'affirmer que le Cardinal Ouellet s'oppose au pape François est une fausse lecture de son analyse qu'il faut lire dans son intégralité, parue à l'Osservatore Romano. Ouelletn'accuse nullement Praedicate Evangelium. Au contraire, il vient au secours du Pape, dans une argumentation très balthazarienne ramenant la potestas sacra à la communion trinitaire. Il l'applique toujours et partout...
C'est avec un enthousiasme indescriptible que j'ai lu ce court billet. Citons d'abord "Praedicate Evangelium" n°5 in extenso :
"5. Indole vicaria delle Curia romana. Ogni Istituzione curiale compie la propria missione in virtù della potestà ricevuta dal Romano Pontefice in nome del quale opera con potestà vicaria nell’esercizio del suo munus primaziale. Per tale ragione qualunque fedele può presiedere un Dicastero o un Organismo, attesa la peculiare competenza, potestà di governo e funzione di quest’ultimi."
Traduction (Faculté de Droit canonique, ICP) :
"5. Nature vicaire de la Curie Romaine. Chaque Institution curiale accomplit sa propre mission en vertu du pouvoir reçu du Pontife Romain au nom duquel elle œuvre avec un pouvoir vicaire dans l’exercice de son munus primatial. Pour cette raison, n’importe quel fidèle peut présider un Dicastère ou un Organisme, attendue la particulière compétence, le pouvoir de gouvernement et les fonctions de ces derniers.
Deux aspects sont à relever :
1. La Curie Romaine exerce la fonction primatiale du Pape en vertu d'un pouvoir vicaire. (Ce dernier, contrairement au pouvoir délégué, est un pouvoir ordinaire résultant d'un office et permet de poser habituellement des actes du gouvernement du Pontife Romain en ses lieu et place).
2. Pour cette raison, tout fidèle, même laïc, peut présider un Dicastère ou un organisme.
Ainsi, tout fidèle laïc, ayant reçu un office curial sur critères d'idonéité, peut exercer le « primatiat » du Pontife Romain lui-même.
Le sens de ce n°5 est illisible. Sa portée est incalculable sur le plan du droit ecclésial et de la foi de l'Église qui le fonde.
Tout d'abord, ce n°5 renferme une inférence intenable : ce n'est pas parce que les pouvoirs de la Curie, de ses ensembles et de ses personnes est de nature vicaire, que toute personne baptisée est "habile" à y recevoir un office de gouvernement. Cela équivaut à biffer le c.274§1, suivant lequel seuls des clercs (ministres sacrés d'institution divine suivant le c.207§1) peuvent recevoir un office avec pouvoir de gouvernement ecclésiastique. Il ne suffit pas qu’un Pape (tout-puissant ?) en décide ; il faut d'abord que la personne soit idoine sur des critères sacramentels et ecclésiaux.
Ainsi, la Constitution apostolique "Praedicate evangelium" renferme-t-elle cette affirmation cruciale : tout fidèle pourvu d'un office en vertu de la décision du Pontife Romain est rendu apte de ce fait à gouverner l'Église en lieu et place dudit Pontife Romain.
Une conséquence pratique est qu'un Préfet laïc de Dicastère peut agir en qualité de supérieur hiérarchique d'un évêque dans le cas d'un recours administratif (voir c.1737§1).
Une conséquence générale est que la décision du Pontife Romain peut s'exonérer de la nature fondamentale de l'Église (de son mystère sacramentel LG 1 ; théandrique LG 8 ; hiérarchique LG 21), issue de la Révélation et approfondie par le Concile Vatican II en référence à la Révélation et à la Tradition. D'un point de vue de l'esprit juridique, nous passons ici d'un Droit adossé à l'institution divine à un droit d'essence séculière, positiviste et arbitraire. Nous sommes bien dans un nouveau droit, dé-théologisé et pour tout dire, profané.
Il nous reste à énoncer deux considérations : Sur la nature du droit dans l'Église ; sur le rattachement du pouvoir de gouvernement ecclésiastique à la consécration épiscopale et à ses effets personnels et collégiaux ;
a. Sur le Droit canonique
En pleine réforme du Code, Paul VI affirmait ceci le 17 septembre 1973 (allocution au congrès international de droit canonique, Doc. catho n°1639, 7 octobre 1973, p.801-802) : "D'autres n'ont pas vu que, à la lumière du IIe Concile du Vatican, ce droit est enraciné dans le mystère même de l'Église. [...] Aucun domaine de la révélation ne peut demeurer ignoré, si l'on veut exprimer et approfondir dans la foi le mystère de l'Église, dont l'aspect institutionnel a été voulu par son Fondateur, et appartient essentiellement à son caractère fondamentalement sacramentel (Lumen Gentium, 1, 1)".
b. Sur l'enracinement sacré et divin du gouvernement ecclésiastique
Dans son magistère solennel et universel, par réception et développement de la tradition, l'Église enseigne ceci :
"Le saint Concile enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre |...] La consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctification, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres |...] LG 21.
"C’est en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres que quelqu’un est fait membre du corps épiscopal". LG 22.
Vatican II avait donc enraciné le droit dans la théologie, l'organisation dans l'institution divine, le pouvoir ecclésiastique et la communion hiérarchique dans le sacrement institué au bénéfice de la sacramentalité du Corps de l'Église. Il maintenait cependant les conditions d’exercice du sacrement reçu, avec leurs modalités juridiques qui, comme chacun sait, sont diverses en Orient et en Occident. Ainsi, c'est le sacrement et lui seul qui rend apte au gouvernement, et la détermination canonique (diverse en Orient et en Occident) qui rend apte à l'exercice de ce gouvernement dans le contexte et au bénéfice de la communion hiérarchique. Il en résulte que le gouvernement ecclésiastique réclame de soi et toujours un premier fondement d'origine divine, à savoir la consécration ou ordination épiscopale. S'exonérer explicitement de ce principe revient à éluder voir à abolir en pratique l'institution divine de l'Église. C'est pourquoi "Praedicate evangelium" n°5 renferme une proposition explicite potentiellement hérétique, au regard de l'enseignement explicite de Lumen Gentium et de l'autorité dogmatique des n° 21-22. (Rappelons ici, à rebours d'un formalisme et positivisme étroits, qu'un enseignement infaillible engageant la foi de l'Église peut être dispensé comme tel sans nécessairement contenir les formes juridiques de la définition infaillible).
Il s'ensuit enfin une distorsion des pouvoirs et figures respectifs du Pontife Romain et des évêques. Je m'explique :
La charge universelle du Pontife Romain s'enracine dans le caractère épiscopal de l'évêque de Rome. Elle s'exerce dans son diocèse, constitué comme tout diocèse image de l'Église universelle, mais aussi sur tous et chacun des autres diocèses au titre de l'unité de l'Église (c.333§1). Or, chaque évêque est lui aussi en charge de l'Église universelle, mais chacun dans son propre diocèse ou éparchie dans lequel se trouve incarnée l'Église universelle elle-même. Cela résulte de l'immanence mutuelle entre l'Église universelle et l'Église particulière. C'est pourquoi tout catholique a deux évêques, mais à deux titres différents : le sien et l'évêque de Rome.
Parce que "Praedicate evangelium" n°5 permet à des fidèles laïcs de poser des actes de gouvernement ecclésiastique, notamment sur des évêques, j'en conclus que cette Constitution apostolique, d'essence législative, porte atteinte à la fois à la dignité sacramentelle de tout évêque, à l'unité sacramentelle du Collège des évêques, à la nature foncièrement sacramentelle de l'Église catholique. Or le Pontife Romain ne peut s'exonérer de la révélation, ni se situer au-dessus d'elle, mais il doit la servir (Dei Verbum n°10 : "ce magistère n'est pas au-dessus de la parole de Dieu mais il la sert, n'enseignant que ce qui fut transmis"). On m'objectera sans doute maints exemples d'une pratique ecclésiale ayant fonctionné sur la base d'une séparation entre pouvoir d'ordre et pouvoir de juridiction, avec des fondements problématiques et de conséquences pas vraiment heureuses. Vatican II est heureusement revenu à une conception théologique de l'Église et de ses institutions, dans un enseignement fondé sur la révélation et la tradition, et dont l'autorité est explicitement revendiquée.
Paul VI avait compris que la Lumen Gentium constituait un garde-fou contre les appréhensions séculières de l'Église, de ses institutions et de son droit. Un droit d'enracinement théologique, suivant les orientations de l'école de Munich, sur laquelle, comme le disait un de mes professeurs, planait l'ombre de Joseph Ratzinger.
Je vais résumer votre pensée, qui est aussi la mienne, pour les cossards :
Ce sera comme dans les hôpitaux : des administratifs à foison qui récrivent le Vidal et emmerdent les médecins et les malades à pied, à cheval et en voiture !
Je ne sais pas si Yves Daoudal avait prévu d'en parler, mais voici un texte très très intéressant du Cardinal Brandmüller. La différence qu'il note entre Célestin V et Benoît XVI est pertinente.
https://www.lesalonbeige.fr/la-nature-et-le-role-du-cardinalat-selon-le-cardinal-brandmuller/
Pardonnez-moi, je le trouve moyennement intéressant. Et la fin est à hurler, surtout à l'heure d'internet:
"il me semble qu’il faudrait sérieusement réfléchir à l’idée de limiter le droit de vote au conclave, par exemple aux cardinaux résident à Rome"
Autrement dit le pape serait le PDG de la SARL Vatican & Co. élu par ses chefs de bureau faisant fonction d'actionnaires.
Le pape devrait être élu par tous les évêques diocésains. De toute façon ces discussions n'ont plus aucun sens. A vue humaine cette Eglise (?) est totalement foutue.