Mais pourquoi les envoie-t-il à la fête, leur disant : « Allez, vous autres, à cette fête : pour moi, je n'y vais point encore ? » Par là, il fait voir qu'il ne le dit point pour s'excuser, ou pour leur complaire, mais pour permettre l'observance du culte judaïque. Pourquoi donc Jésus est-il allé à la fête, après avoir dit : « Je n'irai pas ? » Il n'a point dit simplement : Je n'irai pas, mais il ajoute : « maintenant », c'est-à-dire avec vous, « parce que mon temps n'est pas encore accompli ». Cependant il ne devait être crucifié qu'à la Pâque prochaine. Pourquoi donc n'y alla-t-il pas avec eux? car s'il n'y fut pas avec eux, parce que son temps n'était pas encore venu, alors il n'y devait point aller du tout ? Mais il n'y fut point pour souffrir la mort, seulement il y fut pour les instruire.
Pourquoi y alla-t-il secrètement, car il pouvait y aller publiquement, se présenter au milieu d'eux, et réprimer leur fureur et leur violence comme il l'a souvent fait ? C'est parce qu'il ne le voulait pas faire trop souvent. S'il y eût été publiquement, et s'il les eût encore frappés d'une sorte de paralysie, il aurait découvert sa divinité avant le temps d'une manière trop claire, et l'aurait trop fait éclater par ce nouveau miracle. Mais comme ils croyaient que la crainte le retenait et l'empêchait d'aller à la fête, il leur fait voir au contraire qu'il n'a nulle crainte ; que ce qu'il fait, c'est par prudence, et qu'il sait le temps auquel il doit souffrir : quand ce temps sera venu, il ira alors librement et volontairement à Jérusalem. Pour moi, il me semble que ces paroles : « Allez, vous autres », signifient ceci : Ne croyez pas que je veuille vous contraindre de demeurer avec moi malgré vous. Et quand il ajoute : « Mon temps n'est pas encore accompli », il veut dire qu'il faut qu'il fasse des miracles, qu'il prêche et qu'il enseigne le peuple, afin qu'un plus grand nombre croie, et que les disciples, voyant la constance et l'assurance de leur Maître, et aussi les tourments qu'il a endurés, en deviennent plus fermes dans la foi.
Saint Jean Chrysostome, homélie 48 sur saint Jean, traduction Jeannin, 1865.
« Vous, montez à cette fête, moi je ne monte pas encore à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli. »
Tel est le texte évangélique que commente saint Jean Chrysostome. C’est le texte de la tradition byzantine et syriaque, mais la tradition latine a : « moi je ne monte pas à cette fête ». Une fois n’est pas coutume, la critique moderne a suivi la tradition latine… En se fondant sur les deux seules grandes onciales importantes qui n’ont pas le mot « encore » (οὔπω) : le Sinaïticus et le Codex Bezae. Si les autres manuscrits ont ce mot, ont-ils décidé, c’est parce que le texte a été corrigé : en effet, en ajoutant ce mot on supprimait la difficulté : comment Jésus peut-il dire qu’il ne va pas à la fête alors qu’il va y aller ? S’il dit : « pas encore », cela laisse entendre qu’il va y aller ensuite. Mais dans les années 1950 on a découvert deux manuscrits, les papyrus P66 et P75, qui sont sans doute les plus anciens témoins que l’on ait aujourd’hui de l’évangile de saint Jean. Or, dans ces deux manuscrits il y a « encore ».