La nouvelle postcommunion du premier dimanche de l’Avent a été fabriquée à partir d’une collecte de l’Ascension (sic) et d’une secrète du mois de septembre du sacramentaire de Vérone. L’un des grands principes de la « restauration » (le troisième) était de respecter la fonction des oraisons : ici on a pris une collecte et une secrète pour faire une postcommunion…
Voici la collecte de l’Ascension (Veronese 173) :
Da nobis, Domine, non terrena sapere sed amare caelestia et, inter praetereuntia constitutos, jam nunc inhaerere mansuris.
Donne-nous, Seigneur, de ne pas avoir de goût pour les choses terrestres mais d’aimer les choses célestes et, placés parmi les choses qui passent, d’adhérer déjà à celles qui sont appelées à demeurer.
La secrète de septembre (Veronese 1053) :
Prosint nobis, Domine, frequentata mysteria, quae nos a cupiditatibus terrenis expediant et instituant amare caelestia.
Que nous profitent, Seigneur, les mystères célébrés, afin qu’ils nous débarrassent des désirs terrestres et qu’ils nous fassent aimer les choses célestes.
Et la postcommunion fabriquée à partir de ces deux oraisons :
Prosint nobis, quaesumus, Domine, frequentata mysteria, quibus nos, inter praetereuntia ambulantes, iam nunc instituis amare caelestia et inhaerere mansuris.
Que nous profitent, Seigneur, les mystères célébrés, par lesquels tu nous fais déjà maintenant, nous qui marchons parmi les choses qui passent, aimer les choses célestes et adhérer à celles qui sont appelées à demeurer.
Et voici la « traduction » officielle de la néo-« liturgie » en français :
Fais fructifier en nous, Seigneur, l’eucharistie qui nous a rassemblés : c’est par elle que tu formes dès maintenant, à travers la vie de ce monde, l’amour dont nous t’aimerons éternellement.
1. L’opposition entre la recherche des choses de la terre et la recherche de celles du ciel a disparu, par la suppression du non terrena sapere du Veronese 173 et du cupiditatibus terrenis expediant du Veronese 1053.
2. Dans le Veronese 1053, les mystères nous font aimer les choses du ciel. Dans la nouvelle oraison, les mystères sont des instruments par lesquels Dieu nous fait aimer les choses du ciel. On s’éloigne de la théologie catholique selon laquelle les sacrements opèrent ce qu’ils signifient. Cette oraison permet de considérer les sacrements comme de simples symboles : elle peut être reçue par les protestants.
3. « Constitutos » a été remplacé par « ambulantes » qui ne se trouve dans aucune des deux oraisons qui ont fourni les ingrédients de la nouvelle. Or constitutos fait référence au fait que Dieu nous a placés dans ce monde qui passe ; « ambulantes » au fait que nous marchons dans ce monde.
4. Dans la « traduction » française il n’y a même plus « ambulantes », il n’y a plus que « la vie » et « l’amour », et on a ajouté l’assemblée… C’est une caricature.
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La suppression de l’opposition entre la recherche des choses de la terre et la recherche de celles du ciel est systématique dans toute la néo-liturgie, alors que cette opposition est omniprésente dans la liturgie traditionnelle, et dans la spiritualité traditionnelle, parce qu’elle est omniprésente dans les évangiles et dans les épîtres.
Ainsi, la postcommunion traditionnelle du deuxième dimanche de l’Avent dit ceci :
Repléti cibo spirituális alimóniæ, súpplices te, Dómine, deprecámur: ut, hujus participatióne mystérii, dóceas nos terréna despícere et amáre cæléstia.
Rassasiés de cet aliment de nourriture spirituelle, suppliants, Seigneur, nous te prions de nous apprendre, par la participation à ce mystère, à mépriser les choses de la terre et à aimer les choses du ciel.
La fin a été ainsi modifiée :
…terrena sapienter perpendere, et caelestibus inhaerere.
La « traduction » française officielle dit : « (apprends-nous) le vrai sens des choses de ce monde et l’amour des biens éternels ». Toujours l’amour… et l’ambiguïté du « vrai sens » non défini. Dom Antoine Dumas, l’homme qui a présidé à la fabrication des nouvelles oraisons, traduit : « évaluer sagement les choses terrestres et adhérer aux choses célestes ».
Il explique :
« Le besoin d’adaptation s’est révélé nécessaire dans le cas de nombreuses oraisons, par souci de vérité. Par exemple, plusieurs textes, depuis longtemps trop connus, mettaient en opposition radicale la terre et le ciel ; d’où le couple antithétique, souvent répété dans l’ancien Missel : terrrena despicere et amare caelestia qu’il est possible de bien comprendre mais très facile de mal traduire. Une adaptation s’imposait donc qui, sans nuire à la vérité, tenait compte de la mentalité moderne et des directives de Vatican II. Ainsi, la prière après la communion du 2me dimanche de l’Avent dit très justement : sapienter perpendere, au lieu du mot : despicere, si souvent mal compris. »
S’il en est ainsi, il faut censurer l’Evangile, il faut censurer le Christ. Si l’on ne comprend pas ce que veut dire le mépris des choses de la terre par amour des choses célestes, on peut encore moins comprendre :
Il dit à un autre: Suis-moi. Et il répondit: Seigneur, permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père Jésus lui dit: Laisse les morts ensevelir leurs morts.
ou encore :
Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
Deux citations de Jésus chez saint Luc, l’évangile de la miséricorde… Il est clair que Jésus ne condamne pas l’œuvre de miséricorde et de simple respect de la loi naturelle qui consiste à enterrer ses parents, et qu’il ne condamne pas le commandement de Dieu relatif au respect des parents, ni son propre commandement d’aimer le prochain… Si les chrétiens sont sensés comprendre ces hyperboles, ils comprennent d’autant mieux l’opposition entre le mépris des biens qui passent et la recherche des biens éternels : on ne peut priser les uns sans mépriser les autres, il faut se détacher des choses de la terre pour s’attacher aux choses du ciel. Il faut mourir au monde pour vivre avec Jésus-Christ. Etc. C’est le sens de la Croix, et des béatitudes. Cela n’empêche en rien de traiter sérieusement des affaires de la terre, et de se faire au ciel des amis avec le Mammon d’iniquité.
Si dom Antoine Dumas prend tout littéralement, au mépris de l’évidence et de l’intelligence de la pensée sémitique (qui doit être impérativement respectée, faute de ne rien comprendre à l’Ecriture), on espère que son œil n’a jamais été pour lui une occasion de chute…
Mais on ne comprend que trop bien qu’il s’agit de « tenir compte de la mentalité moderne et des directives de Vatican II », à savoir ce que le fameux « esprit du concile », interprétant Gaudium et Spes, enseigne sur la « valeur » des choses de ce monde, tellement mises au pinacle qu’elles ne sont plus un obstacle dans la vie spirituelle. Or quiconque essaye de prendre au sérieux la vie spirituelle sait pertinemment que c’est faux. L’attrait des choses de ce monde, au détriment des choses d’en haut, est d’autant plus fort que l’on voit celles-là mais qu’on ne voit pas celles-ci, et que cet attrait est exacerbé par le péché originel. C’est donc une très mauvaise action d’avoir partout supprimé la formule traditionnelle, dont il est si facile d’expliquer qu’elle n’est évidemment pas cathare… Et c’est une insulte aux martyrs qui « par amour pour le Christ ont méprisé le siècle ».
Commentaires
Pourriez-vous indiquer svp la source d'où vous prenez ce témoignage du bénédictin Dom Antoine Dumas ?
Merci pour cette étude.
C"est dans son article de 1971 "Les oraisons du nouveau missel romain", qu'on ne trouve pas sur internet, mais qui est abondamment cité par Lauren Pristas, et intégralement traduit en anglais dans son article "The orations of the Vatican II missal: policies for revisions".
Ma citation est une retraduction en français.