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Saint Paulin

Lettre de saint Augustin à saint Paulin, en 395.

O homme bon et bon frère, vous étiez inconnu à mon âme, je lui dis de supporter que vous soyez encore inconnu à mes yeux, et c'est à peine si elle m'obéit, ou plutôt elle ne m'obéit pas. S'y résigne-t-elle, puisque je suis tourmenté par le désir de vous voir? Si j'éprouvais des souffrances corporelles sans en être intérieurement ému, je pourrais dire à bon droit que je les supporte; mais je ne subis pas avec un esprit tranquille la douleur de ne point vous voir; il ne m'est pas permis de parler ici de ma patience. Mais ne serait-ce point intolérable qu'on se résignât à vivre loin d'un homme comme vous? Il est donc bien que je le supporte mal : sans cela je ne serais pas supportable. Ce qui m'arrive est étrange et cependant bien vrai : je souffre de ne pas vous voir, et ma douleur elle-même me console. Je n'aime pas le courage qui fait supporter aisément l'absence de ceux qui sont lions comme vous. Nous désirons la Jérusalem future, et nous la désirons avec d'autant plus d'impatience que nous endurons plus patiemment tout pour elle. Qui pourrait n'être pas dans la joie en vous voyant, ni dans la douleur, en ne vous voyant pas? Je ne puis donc ni l'un ni l'autre; et comme je me trouverais dur de le pouvoir, j'aime à ne le pouvoir pas, et ceci est pour moi un soulagement. Ce n'est pas en souffrant moins, c'est en considérant ma douleur que je me console. Ne me blâmez pas, je vous prie, avec cette sainte gravité qui vous élève au-dessus des autres, et ne dites pas que je m'afflige à tort de ne pas vous connaître encore, puisque vous m'avez laissé voir votre esprit qui est l'intérieur de vous-même. Mais si je me trouvais dans un endroit où vous seriez, dans votre terrestre cité ou partout ailleurs, vous que je saurais mon frère et mon ami, vous si grand dans le Seigneur et d'un si haut mérite, pensez-vous que je ne sentirais aucune douleur de ne pas découvrir votre demeure? Comment ne m'affligerais-je donc pas de ne point avoir vu encore votre visage, la demeure même de votre âme que je connais comme la mienne?

Car j'ai lu votre lettre où coulent le lait et le miel, où se révèle cette simplicité de cœur avec laquelle vous cherchez le Seigneur dont vous sentez la bonté, et où tout concourt à rendre à Dieu honneur et gloire. Nos frères l'ont lue aussi, et se réjouissent des dons si abondants et si excellents que Dieu a répandus sur vous. Tous ceux qui l'ont lue me l'enlèvent, parce qu'elle les enlève chaque fois qu'ils la lisent. On ne saurait dire la suave odeur du Christ qui s'en échappe; plus elle vous révèle à nous, plus elle nous excite à vous chercher, car elle vous rend bien digne qu'on vous regarde et qu'on vous désire. Et comme cette lettre nous fait sentir votre présence, votre absence n'en devient que plus malaisée à supporter. Tous vous aiment dans cet écrit, et veulent être aimés de vous. On y loue et on y bénit Dieu qui vous a fait tel que vous êtes; on y réveille le Christ pour qu'il daigne calmer les vents et tes mers et vous permettre d'arriver à son repos. On y voit une femme qui ne mène pas son époux à la mollesse, mais qui revient à la force en revenant aux os de son mari. Elle s'est fondue en vous et vous est unie par des liens spirituels d'autant plus forts qu'ils sont plus chastes, et nous la saluons en vous encor: aune fois pour remplir tous nos devoirs envers votre sainteté. Là les cèdres du Liban, couchés par terre et devenus une arche par le travail de la charité, fendent les flots de ce monde sans craindre la corruption. Là on méprise la gloire pour l'acquérir, et on délaisse le monde pour en être l'héritier. Là sont écrasés contre la pierre les petits enfants de Babylone et même ceux qui sont un peu grands, c'est-à-dire les vices de la confusion et de l'orgueil du siècle.

Voilà les sacrés et doux spectacles que votre lettre nous donne, cette lettre d'une foi véritable, d'une bonne espérance, d'une pure charité. Comme elle nous fait respirer votre soif, votre désir des tabernacles du Seigneur et les saintes langueurs de votre âme ! Comme on y sent le souffle du saint amour et les brûlants trésors d'un cœur sincère! Quelles grâces elle rend à Dieu et quelles grâces elle en obtient ! On ne sait si elle est plus suave qu'ardente, plus lumineuse que féconde; car elle caresse notre âme autant qu'elle l'embrase, elle verse autant de rosée qu'elle a de purs rayons. Comment vous la payer, je vous prie, sinon en me donnant tout entier à vous en Celui à qui vous vous êtes tout entier donné ? Si c'est peu, je n'ai rien de plus. Vous avez si bien fait que cela ne saurait me paraître peu de chose, à moi que vous avez daigné combler de louanges dans votre lettre; et quand je me donne à vous, si j'estimais que c'est peu, je serais forcé d'avouer que je ne vous crois pas. J'ai honte de croire tout le bien que vous dites de moi, mais j'aurais encore plus de honte de ne pas vous croire. Voici ce que je ferai : je ne me jugerai pas tel que vous me jugez, parce que je ne me reconnais pas dans vos louanges; et je penserai que vous m'aimez, parce que je le sens et je le vois; par là je ne serai ni téméraire envers moi, ni ingrat envers vous. Et quand je m'offre à vous tout entier, ce n'est pas peu : car j'offre celui que vous aimez vivement; et j'offre à vous, sinon celui qui est tel que vous le pensez, au moins celui qui vous demande de prier Dieu de le rendre tel. Je vous conjure de le faire, de peur que vos souhaits pour ce qui me manque ne soient moins vifs, pensant que je suis déjà ce que je ne suis pas.

Celui qui remettra cette lettre à votre excellence et à votre éminente charité est un de mes amis les plus chers depuis mon jeune âge. Son nom est dans ce livre de la Religion que votre sainteté a lu avec plaisir, comme vous me le marquez dans votre lettre ; le mérite de ce livre s'est accru de la recommandation de celui qui vous l'a envoyé. Gardez-vous de croire tout le bien que mon ami vous dira peut-être de moi. J'ai reconnu souvent que, sans vouloir mentir, mais par entraînement de cœur, il se trompait dans son jugement et qu'il me croyait en possession de certains dons qui me manquent, et pour lesquels mes prières et mes soupirs montent vers Dieu. Et s'il a pu dire cela devant moi, que ne se permettra-t-il pas lorsque, en mon absence, sa joie répandra plus de louanges que de vérités? Dans son zèle admirable, il vous donnera tous mes ouvrages; je ne sais pas s'il y a un seul de mes livres qu'il ne possède, soit contre ceux qui sont hors de l'Eglise de Dieu, soit à l'adresse de nos frères. Mais vous, mon cher saint Paulin, quand vous me lisez, que les choses que la Vérité fait entendre par ma faiblesse ne vous ravissent pas au point de prendre moins garde à ce que je dis moi-même, de peur que, pendant que vous jouissez de ce qu'elle a donné de bon et de juste à son ministre, vous n'imploriez pas la miséricorde de Dieu pour les péchés et les erreurs que je commets. Si vous y portez une attention sérieuse, c'est dans ce qui vous déplaira que je me reconnaîtrai; mais pour ce qui vous plaira, à l'aide du don de l'Esprit-Saint que vous avez reçu, il faudra aimer et louer Celui-là seul qui est la source de vie et dans la lumière de qui nous verrons la lumière sans énigme, mais face à face, car maintenant nous voyons en énigme. Lorsque relisant mes ouvrages, je reconnais ce que j'ai tiré du vieux levain, je me juge avec douleur; et lorsque je rencontre ce que j'ai dit par le don de Dieu, après l'avoir puisé dans l'azyme de la sincérité et de la vérité, je me réjouis avec crainte. Qu'avons-nous que nous n'ayons reçu ? On dit que celui-là est meilleur qui a reçu un plus grand don de Dieu. Qui le nie? Mais aussi mieux vaut rendre grâces à Dieu d'un petit don, que de s'enorgueillir d'un plus grand. Priez pour moi, frère, afin que ce sentiment soit toujours le mien, et que mon coeur ne soit pas en désaccord avec ma langue. Priez, je vous le demande, pour que, repoussant toute louange, j'invoque le Seigneur en ne louant que lui seul : c'est alors que je serai sauvé de mes ennemis.

Il y a encore un motif qui doit vous faire aimer ce frère, c'est sa parenté avec le vénérable et vraiment saint Alype que vous aimez de tout cœur, et à bon droit, car en louant cet homme on ne fait que louer Dieu de sa grande miséricorde et de ses admirables faveurs. En apprenant que vous désiriez connaître l'histoire de sa vie, il aurait voulu céder à vos vieux par affection pour vous, et ne l'aurait pas voulu par modestie; en le voyant flotter entre l'amitié et la honte, j'ai pris son fardeau sur mes épaules : il me l'avait demandé dans une lettre. Avec l'aide de Dieu, je mettrai donc bientôt Alype dans vos entrailles; et d'ailleurs j'aurais craint qu'il n'eût pas osé vous découvrir tout ce que le Seigneur a fait pour lui; pour des esprits de peu de pénétration (car d'autres que vous auraient lu sa lettre), il eût semblé, non pas rendre hommage aux grâces divines accordées aux hommes, mais se vanter lui-même; au milieu de ces convenables ménagements pour d'autres, vous, qui savez lire, vous auriez été privé de ce qui pouvait compléter une connaissance fraternelle. Je l'aurais déjà fait et vous l'auriez déjà lu, si ce frère n'avait pas voulu partir subitement. Je le recommande à votre cœur et à la confiante liberté de votre langage; montrez-vous aussi bon pour lui que si vous le connaissiez, non pas d'à présent, mais d'ancienne date comme moi. S'il ose s'ouvrir à vous, vous le guérirez en tout ou en partie par vos discours. Je veux qu'il soit vaincu par le plus grand nombre possible de ceux qui n'aiment pas un ami à la façon du siècle.

Quand même Romanien ne serait pas allé vers vous, son fils, que j'aime comme s'il était le mien, et dont vous trouverez aussi le nom dans quelques-uns de mes livres, vous aurait porté des nouvelles de moi; j'avais résolu de vous l'adresser pour qu'il reçût des consolations, des avis et des leçons, moins par le son de votre voix que par la force de votre exemple. Je souhaite ardemment que, tandis qu'il est encore dans la verte saison, son ivraie se change en froment, et qu'il croie à l'expérience de ceux qui ont passé par les périls vers lesquels il désire s'élancer. Votre affectueuse et douce sagesse comprend, d'après le poème de ce jeune ami, accompagné de ma lettre, la peine, les craintes et les vœux dont il est l'objet dans mon cœur. J'espère que le Seigneur vous choisira pour me délivrer de mes vives inquiétudes. Comme vous devez lire plusieurs de mes écrits, votre amitié me sera douce, si juste et miséricordieux, vous me corrigez dans ce qui vous aura déplu et si vous me reprenez. Car vous, n'êtes pas. ce pécheur dont je dois craindre, que l'huile ne parfume et n'engraisse ma tête.

Nos frères, non seulement ceux qui habitent avec nous et ceux qui servent Dieu en d'autres lieux, mais presque tous ceux qui nous connaissent dans le Christ, saluent, vénèrent, désirent votre fraternité, votre sainteté, votre bonté. Je n'ose pas vous le demander; mais si les fonctions ecclésiastiques vous laissaient du loisir, vous voyez de quoi l'Afrique a soif avec moi.

Commentaires

  • Merci monsieur Daoudal

  • Qui a une foi si pure aujourd'hui ?

    Où sont les saints ? que nous y allions ..!

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