Bossuet : Méditations, dernière semaine, 57e journée (commentaire de Matthieu 23,8-11) :
« Un seul maître : » écoutez le maître intérieur : ne faites rien qu'en le consultant : faites tout sous ses yeux : songez ce que vous feriez si vous aviez à chaque moment à lui rendre compte : vous prendriez son esprit, comme vos subalternes prennent le vôtre : vous craindriez de vous rien attribuer au delà des bornes, pour n'être point repris d'un tel supérieur. Or, encore que vous n'ayez point à lui rendre compte en présence à chaque moment, il viendra un jour que tout se verra ensemble : et en attendant on observe tout : et celui à qui vous aurez à rendre compte, « viendra lorsque vous y penserez le moins, » pour voir si vous n'avez point insolemment abusé du pouvoir qu'il vous a laissé en son absence.
« Vous êtes tous frères. » Songez-y bien : vous qui êtes supérieur, vous êtes frère. S'il faut donc prendre l'autorité sur votre frère, que ce soit pour l'amour de lui, et non pour l'amour de vous : pour son bien, et non pour vous contenter d'un vain honneur.
« Il n'y a qu'un Père ; il n'y a qu'un Maître. » Si on vous appelle « Père, » parce que vous en faites la fonction, elle est déléguée, elle est empruntée. Revenez au fond : vous vous trouverez frère et disciple : ayez-en donc l'humilité : apprenez d'un moment à l'autre ce que vous avez à enseigner. Ainsi vous serez un père, vous serez un maître : car saint Paul a bien dit « qu'il était père et qu'il engendrait des enfants ; » mais la semence de Dieu, c'est sa parole. Recevez donc continuellement de Dieu. Prêchez-vous, écoutez au dedans le Maître céleste et ne prêchez que ce qu'il vous dicte. Conduisez-vous, conseillez-vous, consolez-vous. Si vous parlez, que ce soient « des discours de Dieu : si vous servez quelqu'un » en le conduisant, « que ce soit par la vertu que Dieu vous fournit » sans cesse.
« Un seul Maître : » une seule « lumière qui éclaire tout homme venant au monde : » qui a parlé au dehors, et parle encore tous les jours dans son Evangile : mais qui parle toujours au dedans, dès qu'on lui prête l'oreille. Dans quel silence faut-il être, pour ne perdre pas la moindre de ses paroles ? « Le plus grand d'entre vous, c'est votre serviteur : » il ne dit pas qu'il n'y ait pas d'ordre dans son Eglise, et que personne n'y soit élevé en autorité au-dessus des autres : mais il avertit que l'autorité est une servitude : « Je me suis fait serviteur de tous, » disait saint Paul : « tout à tous, afin de les sauver tous : » l'exercice de l'autorité ecclésiastique est une perpétuelle abnégation de soi-même.