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Au moins cinq fois par jour

L’Eglise latine a bazardé le jeûne, pénitence d’un autre temps que notre temps ne saurait perpétuer, et en conséquence la néo-liturgie dite latine a gommé la notion et le mot de jeûne, n’en gardant que ce qu’en dit l’Evangile qu’on ne peut tout de même pas réécrire complètement.

Je me suis demandé avec quelle fréquence la liturgie (latine traditionnelle) évoque le jeûne au temps du carême.

J’ai compté. Et c’est au moins cinq fois par jour. Jusqu'à 12 fois.

Dans l’office propre du carême le jeûne est évoqué dans les hymnes de matines et des vêpres, dans le capitule de tierce, dans l’antienne de sexte : quatre fois.

A quoi s'ajoute, à la messe, la belle préface propre (qui souligne qu'on parle bien du jeûne corporel):

Qui corporáli jejúnio vitia cómprimis, mentem élevas, virtútem largíris et prǽmia.

Vous qui, par le jeûne corporel, réprimez les vices, élevez l’âme, accordez la force et les récompenses.

En outre, la collecte de la messe évoque fréquemment le jeûne. Cette collecte étant dite également dans cinq offices de la journée, cela fait six fois de plus.

Six et cinq: onze.

Ceci sans compter les jours où un psaume évoque le jeûne (il y en a trois), ni les jours où une autre oraison de la messe évoque le jeûne. Ce qui fait que certains jours on arrive à 12 fois.

On a curieusement considéré, à rebours de la tradition constante et unanime, qu’il n’y avait plus besoin du jeûne pour réprimer les vices, élever l’âme et obtenir la force et les récompenses… Mais le témoignage des 5 à 12 fois par jour de la liturgie traditionnelle continuera de témoigner de l’importance du jeûne, jusqu’à ce que l’Eglise latine redevienne latine.

Commentaires

  • Bonjour,

    J'ai entendu dire que le jeûne aujourd'hui c'est un repas, et une collation à la place des autres repas.
    Est-ce courant ?

  • Au départ, le jeûne, c'était un repas au coucher du soleil. Puis on a peu à peu avancé le repas, à l'heure de none, puis à midi. En chantant les vêpres avant midi, pour faire croire qu'on était quand même le soir... Et comme le soir on avait très faim, on a ajouté une collation le soir. Et pour finir on a ajouté une collation le matin (collations que les moines prennent debout, pour bien montrer que ce n'est pas un repas)... Tel était le "jeûne" avant qu'on le supprime. Mais, même si nous autres petits nains minables ne sommes pas capables d'observer le véritable jeûne, il reste tout de même que pour appeler "jeûne" la discipline à laquelle on s'astreint il doit s'accompagner d'une sensation réelle de faim et de soif, sinon je ne vois pas où est le jeûne.

    Et quelle que soit la définition qu'on donne au jeûne, il n'est évidemment pas "courant" par les temps qui courent. Il est même extrêmement marginal... Dans l'Eglise latine. Car les orientaux observent un jeûne qui consiste à ne rien manger avant midi, et pendant le carême à s'abstenir de toute chair, de produits laitiers et de corps gras.

  • Merci. Je crois que chez les orientaux, les modalités sont décidées avec le père spirituel, sur la base que vous avez indiqué.

    Aujourd'hui, on ajoute les jeûnes autres qu'alimentaires. Mais, il est vrai qu'on a perdu le sens communautaire du jeûne alimentaire devant lequel nous sommes tous égaux.

  • Une autre chose que l'Eglise latine oublie : le jeûne eucharistique. Avec l'habitude que tous communient à toues les messes, il devenait en effet plus pesant...

  • C'est essentiellement la même chose. Mais la suppression du jeûne eucharistique est infiniment plus grave que la suppression du jeûne du carême, puisque cela touche directement, c'est le cas de le dire, le respect dû à une personne divine.

  • On peut même dire que le carême est devenu synonyme de partage fraternel avec le tiers-monde.

  • Je profite de l'occasion pour rappeler que le mot "jeûne" dans le langage de l'Eglise ne signifie pas exclusivement le jeûne, mais toute pénitence corporelle.

  • Une citation de mon cher "maître" et "pays" (au sens de natif de la même petite province), Gustave Thibon :

    « "Facilités" accordées aux catholiques : messes du samedi soir, plus de Carême, ni de vendredi, ni de jeûne eucharistique... On "écoule" le divin comme on brade un stock de marchandises périmées. Je pense à ces magasins où l'on voit afficher des inscriptions de ce genre : "liquidation après saison" ou "énormes rabais sur tous les articles". Ce qui s'accorde fort bien avec cette autre annonce : "Cessation de commerce". »
    Gustave Thibon, in "Parodies et mirages ou la décadence d'un monde chrétien", p. 183

  • Avant la Révolution, en France, on s'abstenait de viande tout le Carême (le dimanche, le jeûne était levé, mais pas l'abstinence) et d’œufs durant la Semaine Sainte. C'est au cours du XIXe siècle qu'on a dissocié jeûne et abstinence et cela se retrouve dans le Code de Droit Canonique de 1917.

    Par ailleurs, le jeûne, même adouci, a disparu en bien des diocèses de France bien avant 'Paenitemini' (1966) qui l'a limité à deux jours : l'indult de 1949, qui prorogeait celui de 1941, ne laissait subsister que 4 jours de jeûne. Il s'agissait des Cendres, du Vendredi saint, des vigiles de l'Assomption (transféré au 7 décembre en 1957) et de Noël (transféré au 23 en 1957).

  • Cher Monsieur Daoudal,

    Vous qui éblouissez souvent vos lecteurs par votre apologie récurrente et documentée des traductions grecque (LXX) et latine (Vulgate sixto-clémentine) de l'Ecriture, pourriez-vous nous éclairer sur la valeur du mépris avec lequel nos exégètes et traducteurs du XXe siècle ont entouré ces deux versets concordants des évangiles :

    . Matthieu XVII (Vulg., v. 20 ; bibles modernes, v. 21) : "Mais ce genre de démons ne se chasse que par la prière et le jeûne."
    . Marc IX, 28 : "Il leur dit : 'Ce genre de démons ne peut se chasser que par la prière et le jeûne'"
    (Traductions Glaire)

    Du second verset, le Bible de Jérusalem (1955) rejette le jeûne en note, comme une simple variante, mais d'autres traductions y vont plus fort en affirmant que cette mention du jeûne ne figure que dans peu de manuscrits...

    Quant au premier verset, la même Bible de Jérusalem nous le donne en addition... rejetée en note.

    En février 2010, aux 'Assises chrétiennes du Jeûne' (qui m'ont paru bien teintée de New Age...), le card. Barbarin citait ce verset de Marc et disait qu'il fallait le défendre bec et ongles, mais je ne me souviens plus de son argumentation.

    P. S. : Dans la liturgie romaine non déformée, ce verset de Marc est lu le mercredi des Quatre-Temps de Septembre [jour de jeûne...] et dans l'homélie du Bréviaire, à la 3e leçon, s. Bède le Vénérable parle explicitement du jeûne, mais en élargit le champ : "Il ne s'agit pas seulement de se priver de nourriture, mais aussi de tout désir impur et de toute passion mauvaise".

  • Le passage pertinent de l'allocution de Mgr Barbarin est ici, et il est suivi d'une intervention d'Yves Daoudal :

    http://www.leforumcatholique.org/printFC.php?num=652999

  • Plaidoyer pour Mathieu 17:21 par John Borland, Thé authenticity and interpretation of Matthew 17:21, ici (19 pages) :

    http://www.academia.edu/6085076/THE_AUTHENTICITY_AND_INTERPRETATION_OF_MATTHEW_17_21

  • Il se trouve que le verset 21 de Matthieu 17 ne figure pas dans les deux codex considérés comme les meilleurs : le Vaticanus et le Sinaiticus (il a été ajouté ensuite sur le Sinaiticus, en haut de la page), et quelques autres manuscrits. La grande majorité des manuscrits a ce verset, qui est cité par Origène et saint Basile (les latins ne comptent pas puisque tous les manuscrits latins – sauf peut-être deux d’avant la Vulgate - ont ce verset).

    Marc 9,29 se trouve dans tous les manuscrits en ce qui concerne la prière, mais le jeûne est omis dans le Vaticanus et le Sinaiticus (et ajouté en note dans ce dernier). Mais il se trouve dans la plupart des autres manuscrits.

    Il est amusant (ou rageant, c’est selon) de constater que dans ce cas les Bibles modernes décident de suivre le Vaticanus et le Sinaiticus (non corrigé), alors que dans d’autres cas (par exemple en Luc 15,16, comme je viens de le constater ce matin, et je l’avais constaté hier dans un autre verset) ces mêmes Bibles font l’inverse, choisissent le texte qui n’est pas celui du Vaticanus et du Sinaiticus…

    A propos, je ne sais pas si vous connaissez le site codexsinaiticus, il est absolument remarquable : il permet de trouver un verset sur le manuscrit en trois clics…

    Matthieu
    http://codexsinaiticus.org/en/manuscript.aspx?book=33&chapter=17&lid=en&side=r&zoomSlider=0

    Marc
    http://codexsinaiticus.org/en/manuscript.aspx?book=34&chapter=9&lid=en&side=r&verse=29&zoomSlider=0

  • Merci infiniment, Messieurs (ou : Madame et Monsieur ?), pour vos réponses. Je vais regarder cela de plus près.
    (Pour la citation du Card. Barbarin, le plus amusant, c'est que, in illo tempore, c'est moi qui l'avais publiée sur le FC...)

  • Merci à Yves Daoudal pour l'information sur le site codexsinaiticus, dont j'ignorais l'existence.

    A Alexandre :
    J'ai pensé que vous étiez effectivement le rapporteur de la citation de Barbarin, mais sans en être sûr. Je suis un homme. Mon pseudonyme anglais 'curmudgeon' désigne une personne bougonne, grincheuse, et est plus typiquement utilisé pour des hommes âgés, bien que parfois aussi des femmes soient qualifiées de la sorte. Statistiquement, je parierais qu'il n'y a pas beaucoup de jouvencelles qu'on appelerait 'curmudgeon', même si certaines péronnelles de ma connaissance le mériteraient.

  • Votre observation appelle une réhabilitation au moins partielle de la réforme de Jean XXIII (1960) : la remise en honneur des féries du temps de Carême et de la première semaine de celui de la Passion.

    En 1958, dans le Diocèse de Sens, par exemple, entre les Cendres et les Rameaux, l'office et la messe de la férie ont été célébrés 17 jours sur 34, soit 50 % (Ordo divini officii sacrique… clero Senonensi… anno Domini 1958, pp. 35-41).

    En appliquant à cette même année 1958 les rubriques de 1960 et le calendrier du même diocèse tel qu'il a été réformé après 1961, ces 20 jours seraient passés à 30 (les quatre fêtes l’emportant sur la féries restant la Chaire de saint Pierre [sam. 22 févr.], S. Matthias [lun. 24 févr.], S. Joseph [mer. 19 mars] et l’Annonciation [mar. 25 mars]), ramenant la liturgie fériale de 50 à 88 %.

    Certes, les jours de fêtes, on devait faire mémoire de la férie à laudes, à la messe et aux vêpres, et le jeûne restait théoriquement (1) obligatoire tous les jours de fêtes tombant en Carême (Code de Droit Canonique [1917], can. 1252, §§ 3 et 4), mais cela devait donner un tout autre état d’esprit.

    Merci, donc, aux réformateurs de 1960 sur ce point !

    (1) En France, l'obligation du jeûne quadragésimal a été réduite aux Cendres et au Vendredi saint en 1941, à cause de la guerre, et cette dispense a été prorogée en 1949.

  • En effet, et c'est aussi le cas pour l'Avent. C'est dans la droite ligne de ce que saint Pie X avait fait pour les dimanches.

    Mais il n'en est pas ainsi dans le calendrier monastique, où seules les doubles de 1ère et seconde classe avaient (ont, pour moi) prééminence sur la férie.

    Cela me fait penser à chaque fois à cette réflexion de dom Guéranger (à l'époque où les fidèles allaient aux vêpres) que tout le monde connaît par coeur l'hymne habituel des vêpres du dimanche: "Iste confessor"...

    Quant à vos précisions sur le jeûne, je m'en passerais bien, car je trouve terrifiante cette décadence qui remonte si loin...

  • A Yves Daoudal :

    "Mais il n'en est pas ainsi dans le calendrier monastique, où seules les doubles de 1° et seconde classe avaient (ont, pour moi) prééminence sur la férie", écrivez-vous.

    Incrédule que je suis, j'ai vérifié dans mon 'Breviarium Monasticum' de 1953 (je vais rechercher celui de 1941 pour voir s'il en était déjà ainsi) et vous avez parfaitement raison. En plus, vous m'avez appris quelque chose ;)
    Les bénédictins ont donc été sur ce point les précurseurs du Code des Rubriques de 1960, comme ils l'ont été de la réforme du calendrier de 1969, mais ceci est une autre histoire...

    Pour la décadence du jeûne, il faut lire le P. Adalbert de Vogüé O.S.B. (Aimer le jeûne) où il en explique les raisons.
    Amusant de constater au passage que le relativement récent retour en grâce de cette pratique a la plupart du temps le bien-être pour seule perspective : intéressé par le sujet, je suis allé aux Assises chrétiennes du jeûne (Saint-Etienne, du 12 au 14 février 2010) et je ne me souviens pas d'avoir entendu de développement sur l'aspect pénitentiel du jeûne...
    Certes, la pénitence est médicinale, mais pas que !

  • Bonjour,

    L'ouvrage de A. de V. est épuisé. Dommage.

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