Comme je l’avais souligné en 2013, sainte Angèle Merici, qu’on connaît comme fondatrice des ursulines, fut en fait pendant l’essentiel de sa vie une tertiaire franciscaine.
Elle n’a écrit (ou plutôt dicté) que trois textes, peu avant sa mort, la Règle, des Avis, et un Testament, trois textes sans autre prétention que de viser à assurer la bonne marche des couvents d’ursulines. Or, à la lecture de ces textes, qui datent de 1540, on ne peut que regretter qu’elle n’ait pas écrit davantage. Car cette lumineuse simplicité, cette douce charité qui coule de source, nous parlent aujourd’hui bien plus que tant d’écrits tarabiscotés de tant de mystiques, ou de sévères sentences de rigoureux doctrinaires.
Dans les deux extraits du Testament que je reproduis ci-dessous, on verra aussi comment cette fille de paysans, qui n’est jamais allée à l’école, cite l’Ecriture Sainte. Au moment où, de l’autre côté de la Méditerranée, une certaine Thérèse, fille du chevalier Alonso Sánchez de Cepeda, va entreprendre la réforme du Carmel et ne se posera même pas la question de l’apprentissage du latin pour comprendre l’office divin ou la Bible.
Premièrement donc, mes très affectionnées mères et sœurs en Jésus-Christ : efforcez-vous, avec l’aide de Dieu, d’acquérir et de conserver en vous de telles convictions et de si bons sentiments, que vous soyez portées à cette sollicitude et à ce gouvernement seulement par le seul amour de Dieu et le seul zèle pour le salut des âmes.
Car, toutes vos œuvres et tous les actes de votre gouvernement étant ainsi enracinés dans cette double charité, ne pourront produire que des fruits bons et salutaires.
En effet, comme le dit notre Sauveur, “Bona arbor non potest malos fructus facere”. L’arbre bon, dit-il, c’est-à-dire le cœur et l’esprit imprégnés de charité, ne peuvent produire que des œuvres bonnes et saintes.
C’est pourquoi saint Augustin disait aussi : “ama et fac quod vis” ; c’est-à-dire : aie l’amour et la charité, et ensuite fais ce qui te plaît ; comme s’il nous disait ouvertement : la charité ne peut pécher.
(…)
Troisièmement : je vous en prie, de grâce, veuillez vous efforcer de mener vos filles avec amour et d’une main suave et douce, et non impérieusement ni avec âpreté ; mais en toute chose, veuillez être affables. Prêtez attention à Jésus, Christ qui dit : “Discite a me quia mitis sum et humilis corde” ; apprenez de moi, dit-il, que je suis affable et doux de cœur. Et de Dieu on lit : “disponit omnia suaviter” ; c’est-à-dire : il dispose et gouverne toutes choses suavement. Et Jésus-Christ dit encore : “Jugum meum suave, et onus meum leve” ; mon joug et ma servitude sont légers et suaves.
Vous devez donc vous efforcer de faire de même vous aussi, et d’user de toute l’affabilité possible.
Et par-dessus tout, gardez-vous de vouloir faire faire par force, car Dieu a donné à chacun le libre arbitre, et Il ne veut forcer personne, mais seulement il propose, invite et conseille, comme il le fait aussi par la bouche de saint Jean en disant : “Suadeo tibi emere coronam immarcescibilem” ; c’est-à-dire : je te conseille d’acheter la couronne qui ne se fane pas. Je te conseille, dit-il, et non pas : je te force.
Je ne dis pas cependant qu’on ne doive parfois user de reproches et de sévérité, en lieux et temps voulus, selon l’importance, la situation et le besoin des personnes ; mais nous devons agir poussées seulement par la charité et le seul zèle des âmes.