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Quelques petites choses chez Osty

Continuant à lire la Bible Osty au rythme que suggère la liturgie (les deux dernières semaines l’Apocalypse, cette semaine l’épître de saint Jacques), non sans avoir devant moi le texte grec et latin, je découvre quelque chose d’ahurissant. Il ne s’agit plus de tordre le sens des mots, ou de leur inventer une signification fantaisiste, mais carrément de changer le mot parce qu’on ne comprend pas celui de la Sainte Ecriture…

C’est dans l’épître de saint Jacques, 4,2 :

« Vous tuez », qui est le texte de tous les manuscrits, a paru hors de situation et a été « amendé » par une correction célèbre d’Erasme, qui a proposé de lire : « vous enviez » (phtoneïté au lieu de phoneuété).

Je ne sais pas si la « correction » d’Erasme est « célèbre » chez les exégètes, mais je n’en trouve aucune trace sur internet, sauf dans les œuvres d’Erasme lui-même, qui corrige en effet sans vergogne, et se permet de dire :

Je ne vois pas comment ce mot, vous tuez, peut faire sens. Peut-être fut-il écrit phtoneïté, c’est-à-dire « vous enviez », et qu’un scribe sommeillant aurait écrit phoneuété à la place de phtoneïté, surtout que vient ensuite [trois versets plus loin] : « l’esprit convoite jusqu’à l’envie ».

Il y a une autre Bible qui « corrige » ainsi : la Pirot-Clamer, et c’est donc là que le chanoine a trouvé la « correction ».

Laquelle est absolument illégitime, car comme le dit Osty lui-même, TOUS les manuscrits grecs ont phoneuété, et TOUS les manuscrits latins ont occiditis : vous tuez. Tous sans exception.

Certes, la phrase est difficile. Mais ce n’est pas la seule de saint Jacques :

Vous convoitez et vous n'obtenez pas; vous tuez, et vous êtes envieux, et vous ne pouvez pas obtenir; vous avez des querelles et vous faites la guerre, et vous n'obtenez pas, parce que vous ne demandez pas. (Traduction Fillion)

On peut remarquer qu’il s’agit de la façon sémitique de parler, où les comparatifs sont remplacés par des oppositions exacerbées. Comme lorsque Jésus dit : « Si quelqu’un vient à moi et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme », etc. Dans la Bible, tuer, répandre le sang, se dit d’actions mauvaises qui ne sont pas des meurtres.

D’autre part, la Bible de Jérusalem (la première, ou parmi d’autres, je ne sais pas) a astucieusement résolu la difficulté en modifiant la ponctuation habituelle (il n’y a pas de ponctuation dans les manuscrits) :

Vous convoitez et ne possédez pas? Alors vous tuez. Vous êtes jaloux et ne pouvez obtenir? Alors vous bataillez et vous faites la guerre. Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas.

Quoi qu’il en soit, la solution se trouve dans les mots de la Sainte Ecriture, et non dans une « correction » de la parole de Dieu…

(Addendum. C'était pour moi une découverte. J'ai constaté ensuite qu'Osty, comme d'ailleurs ses confrères, "corrige" souvent le texte hébreu de l'Ancien Testament, ou même l'invente - il "conjecture"...)

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Dans l’Apocalypse, 13,8, Osty, comme beaucoup d’autres, rejette la traduction « l’agneau immolé depuis l’origine du monde », « malgré la beauté du sens ainsi obtenu », dit-il. Sous prétexte que dans le chapitre 17 il est question aussi de ceux dont le nom « n’est pas inscrit dans le livre de vie » et que l’expression « depuis la fondation du monde » vient juste après. Donc il faudrait comprendre aussi au chapitre 13 « ceux dont le nom ne se trouve pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie de l’Agneau égorgé ».

On remarquera que pour imposer ce sens il faut modifier l’ordre des expressions. Parce que l’ordre authentique du texte appelle l’interprétation traditionnelle : « ceux dont le nom n’est pas écrit dans le livre de vie de l’Agneau qui est immolé depuis l’origine du monde ». En grec la suite de génitifs rend la chose encore plus nette.

Il paraît qu’on trouve ici ou là, notamment chez saint Ambroise (mais où ?), l’interprétation moderne. Mais ce qui est certain est que l’interprétation de très loin la plus courante chez les pères est l’interprétation, ou plutôt, la lecture traditionnelle, qui ouvre une perspective théologique magnifique. Que l’on trouve à quelques chapitres de distance les mêmes deux expressions, différemment agencées, ne suffit pas à établir qu’elles doivent être comprises de la même manière.

Je suis toujours sidéré de voir les nains d’aujourd’hui se dresser devant l’armée des géants d’autrefois et leur dire qu’ils sont nuls.

*

En avance sur la semaine prochaine, pour préparer la lecture de la première épître de saint Pierre, cette affirmation péremptoire :

La bonne qualité de la langue et du style interdit d’attribuer la rédaction de la dite épître à un enfant de la Galilée.

Et hop, trop bouseux le Simon-Pierre – même s’il prêchait évidemment en grec à Antioche puis à Rome, et avec une « bonne qualité de langue et de style », sinon personne ne l’aurait écouté. Et, n’en déplaise aux misérabilistes, saint Pierre n’était pas un « pauvre » des « périphéries ». Il avait avec son frère une entreprise de pêche et il habitait en ville, à Capharnaüm, où les transactions commerciales se faisaient en grec. Rappelons que dès le siècle précédent TOUTES les inscriptions funéraires juives que l’on a retrouvées sont en grec : deux tiers seulement en grec, un tiers en grec et dans une langue sémitique.

(Le chanoine considère toutefois que la substance de l’épître est bien de saint Pierre, mais que le texte a été écrit en grec par Silvain – puisqu’il dit : « C’est par Silvain que je vous écris ces quelques mots »…)

Commentaires

  • Monsieur Daoudal, je lis la version "Nouveau Testament" révision -2004 par Fr. Bernard-Marie sur la traduction du Chanoine Crampon-1923. de l'éditeur Pierre Téqui. Est elle "valable"?
    Merci.

  • Je ne connais pas cette révision.

  • Vous excellez vraiment dans vos billets bibliques!!!
    Quelle traduction française recommandez-vous svp?

  • Voyez les commentaires de ces notes:

    http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2013/07/22/ceux-qui-pretendent-corriger-saint-jean-5126696.html

    http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2015/03/21/les-dauphins-du-desert-5587929.html

  • Il faut noter que pour Ap 13, 8 la néovulgate, par sa ponctuation favorise la traduction moderne : elle écrit : " cujuscumque non est scriptum nomen in libro vitae Agni, qui occisus est, ab origine mundi." Qui occisus est étant ressenti comme une parenthèse.

    Il me semble aussi que le sens impose cette traduction : il s'agit bien dans cette phrase de la prédestination, ou plutôt de la non prédestination, de ceux dont les noms ne sont pas inscrits dans le livre de l'agneau, l'immolé, depuis l'origine du monde.

    C'est mon opinion.

  • Mais la Vulgate de Stuttgart, qui est la vraie Vulgate (même si elle a parfois de curieux partis pris), et qui n'a aucune ponctuation, met le verset sans le couper (la ponctuation étant remplacée par des coupures dans le texte). Le résultat est que la lecture obvie du verset est l'interprétation traditionnelle "occisus ab origine mundi".

    Il ne faut pas oublier la première épître de saint Pierre (1, 19-20), où il est dit que nous avons été rachetés "par le sang précieux comme d'un Agneau sans défaut et sans tache prédestiné avant la fondation du monde", πρὸ καταβολῆς κόσμου : la même expression que dans l'Apocalypse.

  • Cher Monsieur,

    Si vous en avez l’occasion, procurez-vous sur le marché du livre ancien les volumes du Commentaire littéral de dom Augustin Calmet, parus voici à peu près trois siècles (le commentaire des épîtres canoniques a paru en 1716). Voilà ce que le savant bénédictin écrit à propos de Jacques, 4, 2 : « On forme de la difficulté sur cette expression : ‘Vous tuez et vous êtes jaloux’. Il n’est pas naturel dans une gradation de mettre tuer, avant la jalousie ; on met plutôt la jalousie et l’envie, avant le meurtre. Quelques critiques [en note : Erasme, Grotius, Bèze, Cajetan, Vatable] croient qu’au lieu de ‘vous tuez’, saint Jacques avait mis ’vous avez de l’envie’ ; ‘Phtoneite’, au lieu de ‘Phoneuete’ : mais leur correction n’est point appuyée sur les manuscrits, ni sur les anciennes versions. Le syriaque et l’ancienne Vulgate sont conformes au grec imprimé dans les Bibles ordinaires. Quelques-uns prennent le mot de ‘tuer’ dans un sens impropre, pour maltraiter, vexer, affliger ; vous tourmentez votre prochain, vous l’opprimez dans la violente jalousie qui vous transporte contre lui ; mais je ne voudrais rien changer ni au texte, ni à l’explication ordinaire. Les auteurs sacrés ne sont pas toujours scrupuleux dans l’arrangement de leurs termes. La jalousie est cause d’une infinité de meurtres ».
    Voltaire s’est beaucoup moqué de dom Calmet, ce qui est plutôt bon signe…

  • On trouve Don Calmet sur le net. Il est très savant, très bavard, mais pas toujours sûr. Voltaire s'en est beaucoup moqué mais aussi il l'a beaucoup utilisé.

  • La référence. Si ça marche....
    https://books.google.fr/books?id=Mh3yNuXBru4C&pg=PA89&lpg=PA89&dq=dom+calmet+commentaire+litt%C3%A9ral+des+%C3%A9p%C3%AEtres+canoniques&source=bl&ots=d2WilSzMIQ&sig=5HyqwN-YiWQY0SLOWG1YbvoHLmg&hl=fr&sa=X&ei=G-pOVZnnJIHlUMr8gJAF&ved=0CCAQ6AEwADgK#v=onepage&q=dom%20calmet%20commentaire%20litt%C3%A9ral%20des%20%C3%A9p%C3%AEtres%20canoniques&f=false

  • Saint Ambroise, ou Berengaud, ou Incertus 17 : « Quoties ergo mors Christi a sanctis patribus aut præfigurata aut prædicta est, quasi toties Agnus occisus est. Quamvis hoc simpliciter possit intelligi, ut non dicat Agnum occisum ab origine mundi, sed nomina sanctorum scripta ab origine mundi in libro Agni, qui pro eorum salute occisus est. », “Berengaudi Expositio in Apocalypsin : De Visione IV”.

  • Merci beaucoup. Et je vois sur wikipedia que le commentaire de l'Apocalypse de Berengaud fut publié dans la patrologie latine sous de nom de saint Ambroise.

    Donc il ne s'agit pas de saint Ambroise, ni même d'un quelconque auteur de l'antiquité.

  • Dans la Wikipedia anglaise, et la teutonne, s. v. “Berengaudus”, parce que la fronçéze, ça est que des p… (¹) (mais contentes d’eux… eûhhh… contents d’elles… eûhhh…).

    [Auriez-vous l’obligeance extrême – ah ! non, pas “extrême”, vous êtes un modéré, vous – de supprimer le saut de ligne intempestif – l’œuvre du Complot, probablement – entre « sanctis» et « patribus » ? Merci d’avance. (Hier soir, j’en étais malade rage, de ce résultat lamentable.)]

    [Autre chose : Savez-vous si la déchiffration du “papyrus de la dernière Cène” – pléonasme par anglicisme ! – a avancé ? Moi, je bloque.]

    1. Mot utilisé par Mesdames-Messieurs les voisines d’Yves Daoudal, inemployable par d’autres sous peine de taubiraïsme.

  • 1 - Vos désirs sont des ordres.

    2 - Pas de nouvelles du papyrus. Coïncidence : il y a quelques jours j'ai relu avec intérêt tous les déchiffrages qui honorent mon blog...

  • 1. Nous vous remercions.
    2. Nous avons tenté de poursuivre ce déchiffrement – nous en rêvions la nuit – sur notre propre espace – ici, nous sommes tellement mal accueilli et traité –, sans aller beaucoup plus loin, bloqué que nous sommes par quelques lettres irréductibles qui n’ont rien d’autre à foutre que de nous pourrir la vie.

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