Le cardinal Lustiger restera certainement comme l’une des très rares personnalités importantes de l’épiscopat français de ces dernières décennies. Le personnage étant à multiples facettes, son bilan est plutôt contradictoire.
Sur le plan religieux, il pouvait être un authentique porte-voix de l’Eglise, et l’on se souviendra par exemple qu’il avait invité le cardinal Ratzinger pour une mémorable conférence au cours de laquelle celui-ci avait dénoncé la destruction du catéchisme en France, ou qu’il avait créé un séminaire « parallèle » en voyant la déliquescence de la formation du clergé. Il jugeait suicidaire que les Français puissent renier, ou même ignorer la part chrétienne de leur identité, et il avait accusé Nicolas Sarkozy de faire de l’islam une religion d’Etat en créant le CFCM. On n’oubliera pas non plus qu’il a permis la célébration régulière de la messe traditionnelle dans deux églises paroissiales de Paris. Et on lui doit le rétablissement de processions officielles de l'Eglise dans les rues de Paris, le 15 août et le vendredi saint, ce qui assurément n'est pas rien.
D’autre part, il montrait de façon claire comment l’esprit des « Lumières » avait produit les grands totalitarismes du XXe siècle.
Mais il était obsédé par ses origines juives, au point de prétendre que le Christ n’avait pas été condamné à mort par les autorités juives mais uniquement par les Romains, et surtout que le christianisme était une forme de la religion juive destinée à greffer les païens sur le judaïsme, en une interprétation particulièrement tordue, et irrecevable, des propos de saint Paul sur le sujet (on lira à ce propos l'importante étude d'un ami prêtre de Chrétienté-Solidarité dans le numéro 207 de Reconquête). Dans l’affaire du carmel d’Auschwitz, il prendra fait et cause pour les organisations juives, défendra leurs arguments fallacieux, et en compagnie du cardinal Decourtray finira par obtenir le départ des religieuses. Cette interdiction de la prière chrétienne à Auschwitz lui tenait particulièrement à cœur : alors que mes articles sur la question, quoique nombreux (dans Présent, et une étude plus théologique dans La Pensée Catholique), n’avaient qu’un impact très modeste, il m’avait fait inviter à l’archevêché par son bras droit (l’actuel évêque de Rennes) pour que celui-ci tente de me convaincre du bien fondé de sa position.
Sur le plan politique, on se souviendra qu’il dénonça avec vigueur les groupuscules qui utilisaient les immigrés clandestins comme « chair à canon », et qu’il demanda aux curés de ne plus accepter l’occupation d’églises et de faire immédiatement appel à la police en cas d’intrusion.
Mais on se souviendra aussi de son opposition au Front national, dont on ne peut que penser qu’elle était d’une scandaleuse mauvaise foi, dans la mesure où il avait les moyens de connaître la vérité, et puisqu’il reçut un jour Jean-Marie Le Pen.
Il osait prétendre que « les idées de Jean-Marie Le Pen évoquent le néo-paganisme antichrétien de l’Action française », et que c’était une « résurgence du paganisme le plus cynique et le plus dangereux ». Ce qui était un double mensonge : vis-à-vis de l’Action française, et vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen. Le 22 avril 2002, il accusa Jean-Marie Le Pen de « détourner les convictions religieuses au service de la polémique électorale », parce que le candidat du FN avait repris le propos de Jean-Paul II : « N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance. » Ce à quoi Jean-Marie Le Pen avait répondu qu’il avait utilisé la technique de l’analogie, qui est une des grandes avancées intellectuelles du christianisme, et que les expressions reprises correspondaient à la réalité politique du moment.
Son action contre les carmélites d’Auschwitz et son injustice vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen et du Front national resteront comme deux taches indélébiles sur sa mémoire.