Deux jours après le gigantesque rassemblement du Hezbollah à Beyrouth, les Forces Libanaises ont fait une démonstration de force, de leur côté, hier dimanche, sur l’esplanade de la basilique Notre-Dame du Liban à Harissa. Cette manifestation n’avait pas été voulue comme une réponse au Hezbollah, puisqu’il s’agissait de la messe annuelle en souvenir des martyrs de la guerre civile. Mais le choc des deux puissances antagonistes était rendu manifeste.
Au-delà des discours, sur lesquels on peut épiloguer à l’infini (derrière les pétitions de principe très tranchées, ils sont pleins de subtilités très orientales), ce qui apparaît manifestement est que Samir Geagea s’est posé dimanche en personnalité de tout premier plan. Lorsqu’il est sorti de prison, après 11 ans de cachot, on disait que les jeunes ne le connaissaient pas et qu’il n’était plus qu’un témoin de l’histoire de la guerre civile. La messe de Harissa a confirmé de façon éclatante ce qu’on voyait s’affirmer depuis plusieurs mois, notamment pendant la guerre entre le Hezbollah et Israël : Samir Geagea est aujourd’hui l’une des principales autorités politiques du Liban, avec Hassan Nasrallah qui a réalisé (à quel prix) une véritable OPA sur la communauté chiite, et Walid Joumblatt, le chef de la petite communauté druze, dont les positions sont aujourd’hui très proches de celles du chef des Forces Libanaises.
L’ascendant de Samir Geagea sur la communauté chrétienne est d’autant plus fort que la position du général Aoun est incompréhensible : lui qui avait lancé de façon inconsidérée une guerre suicidaire contre la Syrie est aujourd’hui l’allié du Hezbollah soutenu par la Syrie.
Du reste c’est toujours la Syrie qui est le problème. Cela était très clair dans le discours de Samir Geagea, derrière les vives attaques contre le Hezbollah : « La Syrie ne reconnaît toujours pas le Liban, et c’est pour cela qu’elle refuse de délimiter ses frontières et d’établir des relations diplomatiques et c’est pour cela que nous voulons continuer à résister. » Il en était de même dans les propos de Walid Joumblatt tenus le même jour : « Le différend essentiel » avec Hassan Nasrallah, a-t-il dit, est l’allégeance du Hezbollah au régime syrien qui entend recouvrer sa mainmise sur le Liban.
Il est significatif que tant Nasrallah que Geagea réclament une « union nationale », et que l’un et l’autre lui donnent un contenu radicalement différent. C’est tout le problème du Liban, qui ne pourra se résoudre que lorsque les uns et les autres donneront à cette expression le même sens. Ce qui suppose d’une part que le Hezbollah, mais aussi certains clans chrétiens (ne les oublions pas) acceptent de jouer pleinement le jeu libanais et non le jeu syrien, d’autre part que les chrétiens jouent le jeu d’un Etat multiconfessionnel, ce qui n’était le cas, hier à Harissa, ni de celui-ci qui regrettait que les chrétiens aient combattu les chrétiens alors qu’il faut combattre les musulmans, ni de celui-là qui brandissait un drapeau américain en disant qu’il « aime les Américains parce qu’ils sont contre les musulmans ».