Extrait du cinquième sermon de saint Bernard pour la Toussaint (n. 5 et. 6).
Mais à quoi bon les louanges que nous adressons aux saints, à quoi bon célébrer leur gloire et faire parmi nous leur fête ? Pourquoi prodiguer les honneurs de la terre à ceux que, selon la promesse véridique du Fils, le Père céleste honore lui-même ? Qu'ont-ils besoin de nos félicitations ? Ils ont tout ce qu'ils peuvent contenir de gloire.
C'est vrai, mes bien-aimés, les saints n'ont pas besoin de nos honneurs, et notre dévotion n'ajoute rien à ce qu'ils ont. Mais il y va de notre intérêt, sinon du leur, que nous vénérions leur souvenir. Voulez-vous savoir quel avantage nous avons à leur rendre nos hommages ? Je vous avouerai que pour moi, leur mémoire fait naître en moi un violent désir, un triple désir. On dit vulgairement loin des yeux, loin du cœur (1). Or, mon œil à moi, c'est ma mémoire, et me rappeler le souvenir des saints, c'est en quelque sorte, pour moi, les voir. Voir comment notre lot se trouve dans la terre des vivants (2), et ce n'est pas un lot médiocre, si toutefois le souvenir, en nous, ne marche point sans la charité ; oui voilà, dis-je, comment notre vie se trouve transportée dans les cieux (3), non point, toutefois, de la même manière que la leur s'y trouve à présent. En effet, ils s'y trouvent en substance et nous n'y sommes qu'en désir ; ils y sont effectivement présents, nous ne nous y trouvons que par le souvenir.
Quand nous sera-t-il donné de nous réunir aussi à nos pères ? De leur être présentés en personne ? Tel est le premier désir que le souvenir des saints fait naître en nous, que dis-je ? dont il nous embrase. Quand jouirons-nous de leur société si désirable, quand serons-nous dignes d'être les concitoyens (4), les compagnons de chambrée des esprits bienheureux, d'entrer dans l'assemblée des patriarches, de nous unir aux phalanges des prophètes, au sénat des apôtres, aux innombrables bataillons des martyrs, aux collèges des confesseurs, et aux chœurs des vierges, de nous perdre, en un mot, et de nous réjouir en commun dans la troupe entière des saints ?
Le souvenir de chacun d'eux, comme autant d'étincelles, ou plutôt comme autant de torches ardentes, allume les cœurs dévots et leur inspire une soif dévorante de les voir et de les embrasser, tellement qu'il n'est pas rare qu'ils se croient déjà au milieu d'eux, et qu'ils entrent dans l'assemblée entière des saints, où ils s'élancent de toute l'ardeur et de toutes les forces de leur cœur, tantôt vers les uns et tantôt vers les autres. D'ailleurs quelles ne seraient pas notre négligence et notre paresse, notre lâcheté même, de ne point nous élancer, comme un trait qu'on décoche, de ce monde par de fréquents soupirs, et avec toute la ferveur de la charité, vers ces heureux bataillons ?
Malheur à nous à cause du péché, que l'Apôtre reprochait aux gentils, quand il les reprenait parce qu'ils étaient sans affection (5). L'Église des premiers-nés nous attend, et nous négligeons de l'aller rejoindre ; les saints nous appellent, et nous n'en tenons aucun compte. Réveillons-nous enfin, mes frères, ressuscitons avec le Christ, cherchons, goûtons les choses d'en haut (6). Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, que nos cœurs tendent par leurs vœux, vers ceux qui les appellent.
Dans la vie que nous partageons ensemble ici-bas maintenant, il n'y a ni sécurité, ni perfection, ni repos, et pourtant combien ne nous est-il pas doux et bon d'habiter en commun avec nos frères (7) ? En effet nous arrive-t-il quelque chose de fâcheux, soit dans le corps, soit dans l'âme, il nous est plus facile de le supporter dans la société de nos frères, avec qui nous n'avons en Dieu qu'un cœur et qu'une âme (8). Combien plus douce, plus délicieuse et plus heureuse est l'union, que nul soupçon ne trouble, que nulle dissension n'altère, qui nous réunira par les liens indissolubles de la charité parfaite ? Et qui fera que nous ne serons plus qu'un dans le Père et dans le Fils, comme le Père et le Fils ne forment qu'un aussi.
(1) « Quod non videt oculus, cor non dolet ». Littéralement : ce que l’œil ne voit pas, le cœur n’en souffre pas. Il n’y a aucune raison de douter que ce fût une expression populaire, comme le dit saint Bernard. Mais si l’on fait une recherche sur l’expression, la seule référence qu’on trouve est… saint Bernard.
(2) « Portio mea in terra viventium », psaume 141.
(3) « Nostra autem conversatio in caelis est », Philippiens 3,20.
(4) « Cives santorum » : Ephésiens 2,19.
(5) Romains 1,31.
(6) Colossiens 3,1-2 : « Igitur, si consurrexistis cum Christo : quæ sursum sunt quærite, ubi Christus est in dextera Dei sedens : quæ sursum sunt sapite, non quæ super terram.
(7) « Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum ! » Psaume 132.
(8) « Multitudinis autem credentium erat cor unum et anima una », Actes 4,32.
(La traduction est celle de l'édition Vivès de 1862. J'ai toutefois modifié "conchambristes"... Le mot latin est "contubernales", il désigne les soldats qui partagent la même tente, puis il veut dire simplement "camarades", mais ici il a son sens fort, même s'il est figuré, comme ensuite "phalanges", "bataillons".)
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"Quand jouirons-nous de leur société si désirable, quand serons-nous dignes d'être les concitoyens, les compagnons de chambrée des esprits bienheureux, d'entrer dans l'assemblée des patriarches, de nous unir aux phalanges des prophètes, au sénat des apôtres, aux innombrables bataillons des martyrs, aux collèges des confesseurs, et aux chœurs des vierges, de nous perdre, en un mot, et de nous réjouir en commun dans la troupe entière des saints ?"
Le côté "cousinade" n'est pas ce qui m'emballe le plus chez les cathos. Le côté compagnons de chambrée avec concours de prouts, encore moins. Les bataillons de martyrs ne m'excitent pas beaucoup. Il reste le chœur des vierges, plutôt sympa si elles ont un peu d'expérience tout de même !