Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Saint Jérôme

La lettre ci-dessous, adressée à un sous-diacre d’Aquilée, est représentative d’une partie du courrier de saint Jérôme, qui reproche souvent à ses amis de ne pas lui écrire. Il peut le faire de façon plus rude (surtout quand il reproche à quelqu’un -notamment saint Augustin - de ne pas lui répondre, sans se demander si le correspondant a reçu sa lettre...), et l’on voit ici, chez un saint Jérôme d’une trentaine d’années, qu’il n’a pas encore renoncé à faire du style et à citer le maître de l’éloquence latine.

Turpilius, poète comique, parlant du commerce épistolaire, dit que c'est le seul moyen qui rend présents les absents. Cet auteur a dit vrai, quoique dans un sujet qui n'est qu'une pure fiction. En effet, n'est-ce pas en quelque façon voir et posséder ses amis, que de s'entretenir avec eux par lettres ? Aussi le commerce en était-il établi parmi ces peuples barbares d'Italie qu'Ennus appelle Casques, qui, comme dit Cicéron dans ses livres de la Rhétorique, vivaient d'une manière sauvage. Comme le papier et le parchemin n'étaient pas encore connus, ils écrivaient ou sur des tablettes de bois bien polies, ou sur des écorces d'arbres. De là vient qu'on appelait ceux qui portaient les lettres tabellarii, messagers; ceux qui les écrivaient , librarii, copistes, du mot liber, qui signifie cette petite écorce qui est immédiatement attachée au tronc de l'arbre. Si des hommes grossiers et sans aucune civilisation, avaient établi entre eux un commerce si doux et si agréable, comment pouvons-nous y renoncer, nous qui vivons dans un siècle où règnent la politesse et les beaux-arts? Chromatius et, Eusèbe son frère, qui ne sont pas moins unis par la conformité de leurs inclinations que par les liens de la nature, m'ont prévenu par leurs lettres, tandis que vous, mon cher Nicéas, qui venez de me quitter, vous rompez une amitié naissante, plutôt que vous ne l'affaiblissez; ce que Lelius condamne dans le livre que Cicéron a écrit sur l'amitié. Auriez-vous tant d’aversion pour l'Orient, que vous ne voudriez pas même que vos lettres y vinssent ? Ah ! sortez, sortez de votre assoupissement et rompez enfin le silence. Accordez du moins une lettre à l'amitié; au milieu des douceurs que vous goûtez dans votre pays, souvenez-vous quelquefois des voyages que nous avons faits ensemble. Si vous m'aimez encore, je vous prie de me donner de vos nouvelles; si vous avez quelque sujet de chagrin contre moi, écrivez-moi toujours, même dans votre colère; il me sera toujours bien doux de recevoir des lettres d'un ami, quelque irrité qu'il puisse être.

Commentaires

  • Quelle fougue !
    Merci à YD de nous faire connaître ce monument de rhétorique épistolaire et cet aspect de la personnalité de saint Jérôme.
    La traduction citée est bien enlevée, mais un peu libre ("ritu ferino victum quaerebant" serait mieux rendu par "cherchaient leur nourriture à la manière des bêtes sauvages" ; des mots manquent : "beatus Chromatius cum sancto Eusebio", d'autres sont rajoutés : "mon cher Nicéas").
    "Ennus" à la place d'"Ennius" est sans doute une faute de frappe du regretté Philippe Remacle (dont il faut au passage saluer avec gratitude l'œuvre gigantesque).

  • Cher Monsieur, pourriez-vous nous donner le texte latin ? Cette lettre est en effet remarquable à plus d'un titre...

  • TURPILIUS Comicus tractans de vicissitudine litterarum: sola, inquit, res est, quae homines absentes, praesentes facit. Nec falsam dedit, quanquam in re non vera, sententiam. Quid enim est (ut ita dicam) tam praesens inter absentes, quam per epistolas et alloqui, et audire quos diligas? Nam et rudes illi Italiae homines, quos Cascos Ennius appellat, qui sibi (ut in Rhetoricis Cicero ait) ritu ferino victum quaerebant, ante chartae et membranarum usum, aut in dedolatis e ligno codicillis, aut in corticibus arborum mutuo epistolarum alloquia missitabant. Unde et portitores earum Tabellarios, et scriptores a libris arborum Librarios vocavere. Quanto magis igitur nos, expolito jam artibus mundo, id non debemus omittere, quod illi sibi praestiterunt, apud quos erat cruda rusticitas, et qui humanitatem quodammodo nesciebant? Ecce beatus Chromatius cum sancto Eusebio non plus natura quam morum aequalitate germano, litterario me provocavit officio. Tu modo a nobis abiens, recentem amicitiam scindis potius, quam dissuis, quod prudenter apud Ciceronem Laelius vetat. Nisi forte ita tibi exosus est Oriens, ut litteras quoque tuas huc venire formides. Expergiscere, expergiscere, evigila de somno, praesta unam chartae schedulam caritati. Inter delicias patriae, et communes quas habuimus peregrinationes, aliquando suspira. Si amas, scribe obsecranti: si irasceris, iratus licet scribe. Magnum et hoc desiderii solamen habeo, si amici litteras, vel indignantis accipiam.

    https://remacle.org/bloodwolf/eglise/jerome/lettres1.htm

  • Il aurait eu sa place sur ce blog. Il devait engager des polémiques sur d'épineuses questions théologiques avec des gens qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam (a-t-il jamais rencontré physiquement saint Augustin ?) et les inonder de missives pleines de reproches sentimentaux quand les réponses se faisaient attendre.
    De là vient, je suppose, sa réputation de mauvais caractère. Très très moderne en tout cas !

Les commentaires sont fermés.