Quelques impies en sont venus à ce degré de démence que d’oser trouver à redire dans ces paroles du Sauveur. Il ne devait pas, disent-ils, proposer aux hommes l’exemple des oiseaux, puisqu’il voulait porter les hommes à agir librement et volontairement, au lieu que les oiseaux n’agissent que par l’instinct et le mouvement de la nature. Que répondre à cela sinon que nous pouvons acquérir par la volonté ce que la nature a donné aux oiseaux ? Aussi Jésus-Christ, ne dit pas : Considérez que les oiseaux du ciel volent, parce que nous ne pouvons pas les imiter en cela, mais qu’ils n’ont point de soin de leur nourriture, ce que nous pouvons faire aisément si nous le voulons.
L’exemple des saints qui ont vécu selon ce précepte en est une preuve. Admirable sagesse du divin Législateur qui pouvant nous proposer l’exemple de tant d’excellents hommes, comme de Moïse, d’Elie, de saint Jean, et de tant d’autres, qui ne se sont mis nullement en peine de trouver de quoi se nourrir, aime mieux se servir de celui des oiseaux, comme plus capable de frapper l’esprit de ses auditeurs et de ses disciples. Car s’il leur eût donné ces hommes de Dieu pour modèle, ils lui eussent peut-être répondu qu’ils n’étaient pas encore arrivés comme ces saints, au comble de la vertu. Mais en ne leur proposant que l’exemple des oiseaux, ils ne pouvaient pas s’excuser, et ils devaient plutôt rougir de ne pouvoir pas les imiter.
Il imite encore en ce point l’ancienne loi, qui renvoie quelquefois les hommes à l’exemple de l’abeille, de la fourmi, de la tourterelle, et de l’hirondelle. Et ce n’est pas une petite preuve de la gloire, et de la grandeur de l’homme, de pouvoir imiter par le choix libre de sa volonté ce que ces animaux font par la nécessité de l’instinct de la nature. Si donc Dieu prend tant de soin des choses qu’il a créées pour nous, combien en prendra-t-il plus de nous-mêmes ? S’il veille tant sur les serviteurs, combien veillera-t-il plus sur le maître ? C’est pourquoi après avoir dit : "Regardez les oiseaux du ciel" il n’ajoute point : que ces oiseaux ne s’occupent point à des commerces et à des trafics injustes, parce qu’il semblerait n’avoir eu en vue que les hommes les plus méchants et les plus avares ; mais seulement "qu’ils ne sèment et qu’ils ne moissonnent point".
Quoi donc ! me direz-vous, voulez-vous nous empêcher de semer ? Jésus-Christ ne défend point de semer ; mais il défend d’avoir trop de soin de ce qui est même le plus nécessaire. Il ne défend point de travailler, mais il ne veut pas qu’on travaille avec défiance, et avec inquiétude. Il vous promet donc, et il vous commande même de vous nourrir ; mais il ne veut pas que ce soin vous tourmente, et vous embarrasse l’esprit. David avait longtemps auparavant marqué cette vérité obscurément : "Vous ouvrez votre main, et vous remplissez de bénédiction tout ce qui a vie." (Psaume 144.) Et ailleurs : "Dieu donne aux animaux et aux petits des corbeaux la nourriture qu’ils lui demandent." (Ps. 146.)
Vous me direz, peut-être, quel est l’homme qui puisse s’exempter de ces soins ? Ne vous souvenez-vous point de tant de justes que je viens de vous nommer ? Ne savez-vous pas encore que le patriarche Jacob sortit nu de son pays et qu’il dit : "Si le Seigneur me donne du pain pour manger et des habits pour me couvrir", etc. (Gen. 28.) Ce qui marque assez qu’il n’attendait point sa nourriture de ses soins, mais de Dieu seul. C’est ce que les apôtres ont fait depuis en quittant tout et ne s’inquiétant de rien. On a vu ces cinq mille personnes ensuite, et ces trois mille autres pratiquer la même chose. Si après toutes ces raisons et tous ces exemples vous ne pouvez vous résoudre à vous décharger de ces soins qui sont comme des chaînes qui vous accablent, reconnaissez au moins combien ils vous sont inutiles, et que cette inutilité vous porte à vous en dégager. "Car qui est celui d’entre vous qui puisse avec tous ses soins ajouter à sa taille naturelle la hauteur d’une coudée ?" Il se sert de la comparaison d’une chose claire, pour en faire comprendre une qui est obscure et cachée. Comme avec tous vos soins, dit-il, vous ne pouvez faire croître votre corps, vous ne pouvez de même avec toutes vos inquiétudes, quelque nécessaire que vous les croyiez, vous assurer votre nourriture. Ceci nous fait donc voir que ce ne sont point nos soins particuliers, mais la seule providence de Dieu qui fait tout dans les choses mêmes où nous paraissons avoir plus de part : que si Dieu nous abandonnait, rien ne nous pourrait soutenir, et que nous péririons avec tous nos soins, toutes nos inquiétudes, et tous nos travaux.
Saint Jean Chrysostome, homélie 21 sur saint Matthieu.