« Je vous conjure et je vous supplie, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père où j'ai cinq frères, afin qu'il leur annonce ce que je souffre, et qu'ils ne viennent pas dans ce lieu de tourment. » Il demande pour d'autres, n'ayant pu rien obtenir pour lui-même. Voyez combien la punition l'a rendu doux et humain : lui qui avait méprisé et dédaigné Lazare, quoique présent et sous ses yeux, songe à d'autres qu'il ne voit pas ; plein d'égard et d'attention, il s'occupe d'eux avec inquiétude, il cherche tous les moyens de les garantir des maux qui les menacent. Il conjure Abraham d'envoyer Lazare dans la maison de son père, dans l'endroit même où ce généreux athlète a signalé toute sa vertu. Que ceux, semble-t-il dire, qui l'ont vu combattre, le voient couronné ; que ceux qui ont été les témoins de son indigence, de la faim et de tous les maux qu'il a soufferts, le soient du changement heureux qu'il éprouve, de la gloire et des honneurs dont il est comblé ; afin qu'instruits par ce double exemple, et convaincus que tout ne finit pas avec cette vie, ils se disposent à éviter le supplice et les tourments que leur frère endure.
Que lui répond Abraham ? Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent. Vous n'êtes pas aussi occupé de vos frères que Dieu qui les a créés, qui leur a donné une infinité de maîtres pour les avertir, les conseiller et les reprendre.
Non, père Abraham, réplique le riche, mais si quelqu'un des morts va les trouver, ils le croiront. On sait quel est le langage du peuple : Où sont maintenant ceux qui nous ont parlé d'une autre vie ? qui en est revenu ? qui est ressuscité des morts, et nous a rapporté ce qui se passe dans un autre monde ? Par combien de pareils propos le riche ne s'était-il pas abusé lui-même lorsqu'il vivait dans les délices ? Car ce n'est pas sans raison qu'il demandait qu'on envoyât quelqu'un des morts à ses frères : et comme il avait méprisé les Ecritures, qu'il s'en était moqué, qu'il avait regardé comme des fables ce qu'elles disent d'une autre vie, il supposait à ses frères les sentiments qu'il avait éprouvés lui-même. Ils se défieront, dit-il, des Ecritures ; mais si quelqu'un des morts va les trouver, ils ne refuseront pas de croire, ils ne se moqueront point de ce qu'on leur dira, ils y feront plus d'attention.
Que répond Abraham ? S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, quand quelqu'un des morts ressusciterait, ils ne l'écouteraient pas davantage. Les Juifs sont une preuve que celui qui n'écoute pas les Ecritures, n'écouterait pas les morts s'ils ressuscitaient ; ils n'avaient écouté ni Moïse ni les prophètes, ils n'ont pas cru non plus les morts qu'ils voyaient ressuscités, mais ils cherchaient à faire périr Lazare, et ils persécutaient les apôtres, quoique plusieurs morts eussent été rendus à la vie dans le temps de la prédication de la croix.
Mais afin d'apprendre d'ailleurs que les instructions des prophètes sont plus sûres que les témoignages des morts, considérez que tout mort n'est qu'un esclave, au lieu que les paroles de l'Ecriture sont les oracles du Maître; en sorte que quand un mort ressusciterait, quand un ange descendrait du ciel, tout ce qu'ils pourraient nous dire ne serait pas aussi authentique que les Ecritures, qui nous ont été données par le Seigneur des anges, par le souverain Arbitre des morts et des vivants.
Au reste, on peut prouver encore par les tribunaux de ce monde, que ceux qui demandent que les morts reviennent, demandent une chose inutile. Quoique les fidèles voient l'enfer des yeux de la foi, il n'est pas visible pour les incrédules. Les tribunaux sont visibles, et nous entendons dire tous les jours qu'un tel a été traîné au supplice, que les biens d'un tel ont été confisqués, qu'un autre a été condamné à travailler aux mines, un autre à périr dans les flammes, qu'un autre a subi un autre genre de peine ; cependant les fourbes, les méchants et les malfaiteurs qui entendent parler de ces condamnations ne se corrigent pas. Et que parlé-je de ceux qui ne sont jamais tombés entre les mains de la justice ? Souvent même des hommes qui ont été pris, qui ont échappé à la peine, qui se sont enfuis en perçant la prison, se sont livrés aux mêmes excès, ou même ont enchéri sur leurs anciens crimes. Ne cherchons donc pas à entendre de la bouche des morts ce que les saintes Ecritures nous apprennent tous les jours plus clairement.
Saint Jean Chrysostome, 4e homélie sur Lazare.