La purification qui conduit l’âme à l’union divine peut recevoir la dénomination de nuit pour trois raisons. La première se rapporte au point de départ ; car, en renonçant à toutes les choses créées, l’âme a dû tout d’abord priver ses appétits du goût qu’ils y trouvaient. Or ceci est indubitablement une nuit pour tous les sens et tous les instincts de l’homme.
La seconde raison est la voie même qu’il faut prendre pour atteindre l’état bienheureux de l’union. Cette voie n’est autre que la foi, nuit vraiment obscure pour l’entendement.
Enfin la troisième raison est le terme où l’âme tend. Terme qui est Dieu, être incompréhensible et infiniment au-dessus de nos facultés, et qu’on peut appeler par là même une nuit obscure pour l’âme durant son pèlerinage ici-bas.
Ces trois nuits à traverser par l’âme sont figurées au Livre de Tobie par les trois nuits que, sur l’ordre de l’Ange, le jeune Tobie laissa écouler avant de s’unir à son épouse.
L’Ange Raphaël lui commanda de brûler pendant la première nuit le foie du poisson, symbole d’un cœur affectionné et attaché aux choses créées. Quiconque désire s’élever à Dieu doit, dès le début, purifier son cœur dans le feu de l’amour divin et y consumer tout ce qui appartient au créé. Cette purification met en fuite le démon, qui auparavant avait puissance sur l’âme pour la faire adhérer aux plaisirs temporels et sensibles.
L’Ange dit à Tobie que dans la seconde nuit il serait admis en la compagnie des saints Patriarches, qui sont les pères de la foi. De même l’âme, après avoir traversé la première nuit, figurée par la privation de tout ce qui flatte les sens, pénètre sans obstacle dans la seconde. Là, étrangère à tous les objets sensibles, elle demeure dans la solitude et la nudité de la foi, l’ayant choisie pour son unique guide.
Enfin, pendant la troisième nuit il fut promis à Tobie une abondante bénédiction. Dans le sens qui nous occupe, cette bénédiction est Dieu lui-même qui, à la faveur de la seconde nuit, c’est-à-dire de la foi, se communique à l’âme d’une manière si secrète et si intime, que c’est un autre genre de nuit plus profonde que les précédentes. L’union avec l’Épouse, c’est-à-dire avec la Sagesse de Dieu, se consomme quand la troisième nuit est écoulée, nous voulons dire, lorsque cette communication de Dieu à l’esprit est achevée.
La Montée du Carmel, cité dans l’Année liturgique.
Commentaires
Dans le Livre deutérocanonique de Tobie, le jeune garçon doit épouser une certaine Sarra aimée du démon Asmodée, ennemi juré de ses unions conjugales, qui a fait périr ses sept premiers maris avant qu'ils aient eu le temps de consommer la nuit de noce.
L'archange Raphaël, qu'à ma connaissance on ne rencontre pas ailleurs dans la Bible, lui dit :
"Ne tiens pas compte de ce démon, et prends-la. Je te garantis que, dès ce soir, elle te sera donnée pour femme. Seulement quand tu seras entré dans la chambre, prends le foie et le cœur du poisson, mets-en un peu sur les braises de l'encens. L'odeur se répandra, le démon la respirera, il s'enfuira, et il n'y a pas de danger qu'on le reprenne autour de la jeune fille. Puis, au moment de vous unir, levez-vous d'abord tous les deux pour prier. Demandez au Seigneur du Ciel de vous accorder sa grâce et sa protection. N'aie pas peur, elle t'a été destinée dès l'origine, c'est à toi de la sauver. Elle te suivra, et je gage qu'elle te donnera des enfants qui te seront comme des frères. N'hésite pas."
Après la noce et avant de se coucher, Tobie fait tout ce que lui a demandé Raphaël dans la même soirée, puis s'acquitte honorablement de la suite. Les parents de Sarra ont déjà fait creuser une tombe pour Tobie car on n'est jamais trop prudent. Ils envoient une servante (sans doute au petit matin) pour voir si on peut l'enterrer discrètement. Mais la servante "les trouva tous deux dormant d'un profond sommeil". Ils dorment bien car Tobie s'est bien acquitté de la suite.
Ragouël, le père de Sarra, invite ensuite Tobie à prolonger la lune de miel pendant quatorze jours : "Tu rendras la joie à ma fille après tous ses chagrins." En même temps, grâce à Asmodée, il n'y avait pas beaucoup de concurrence
Saint Jean de la Croix s'est trompé.
Tu autem cum acceperis eam, ingressus cubiculum, per tres dies continens esto ab ea, et nihil aliud nisi orationibus vacabis cum ea. Ipsa autem nocte, incenso jecore piscis, fugabitur dæmonium. Secunda vero nocte in copulatione sanctorum patriarcharum admitteris. Tertia autem nocte, benedictionem consequeris, ut filii ex vobis procreentur incolumes. Transacta autem tertia nocte, accipies virginem cum timore Domini, amore filiorum magis quam libidine ductus, ut in semine Abrahæ benedictionem in filiis consequaris.
Tobie, 8. Vulgate: Bible de l'Eglise catholique latine.
Ce doit être plutôt le chapitre 6, mais apparemment la traduction de la Bible de Jérusalem est honteusement infidèle à la Vulgate, ne mentionnant les trois jours ni au chapitre 6, ni d'ailleurs au chapitre 8 ! Incroyable ! D'autant que j'aime beaucoup ce livre et l'ai toujours lu dans la traduction qu'en donne l'Ecole biblique de Jérusalem, dans ma Bible de 1985 ! Mea culpa, j'aurais dû vérifier avec Crampon que ma fille vient de me prêter et qui est juste.
Mes plates excuses à saint Jean de la Croix.
Oui, le texte cité est en effet dans le chapitre 6. Mon erreur vient de ce que j'étais allé d'abord au chapitre 8, qui est celui qui raconte ce qui a été annoncé au chapitre 6.
La seule Bible en français qui soit vraiment fidèle à la Vulgate est celle de l'abbé Glaire, joliment rééditée en 2019.