Sermon de saint Pierre Chrysologue, archevêque de Ravenne, sur saint Apollinaire (le texte latin est ici, colonnes 552-555).
Le bienheureux Apollinaire, le premier dans l’épiscopat, est le seul évêque à avoir honoré cette église de Ravenne par un martyre illustre à dimension nationale. Il mérite cet honneur, car selon le commandement de son Dieu, il a perdu son âme pour la retrouver dans la vie éternelle. Bienheureux est-il d’avoir terminé sa course et d’avoir conservé la foi d’une façon telle que les croyants se souviennent de lui comme le premier martyr de Ravenne.
Que personne ne croie qu’il mérite moins le titre de confesseur que celui de martyr. Au moindre signe de Dieu, on l’a vu un grand nombre de fois, et presque chaque jour, retourner combattre. Écoute ce que dit Paul : Chaque jour je meurs. Mourir une seule fois est peu de chose pour celui qui peut souvent remporter, pour son roi, une victoire glorieuse sur les ennemis. Ce n’est pas tant la mort que la foi et la dévotion qui font le martyr. Si c’est un signe de courage à la guerre, dans la lutte corps à corps, de succomber par amour du roi, durer et se consumer dans les combats c’est porter le courage à la dernière limite. Ne pas infliger la mort immédiatement à un martyr ne signifie pas le persécuter. Parce qu’il n’a pas apostasié, le martyr est éprouvé. L’ennemi madré a lancé tous les traits qu’il a pu lancer, et toutes les différentes armes qu’il possédait. Mais il n’a pas pu ébranler l’esprit du très fort guide, ni porter atteinte à sa constance. C’est une très grande chose, mes frères, de mépriser la vie présente, si la chose est nécessaire, mais c’est aussi une chose glorieuse de fouler aux pieds le monde et sa vie avec son prince.
Le Christ se hâtait vers le martyr ; le martyr se hâtait vers son roi. Nous avons raison de dire qu’il se hâtait, selon ce mot du prophète : Lève-toi à ma rencontre, et vois. Mais pour que la sainte Église conserve son défenseur, elle accourt au Christ avec véhémence, pour réserver au vainqueur la couronne de la justice, et pour s’octroyer la présence de son champion en temps de guerre. Le confesseur a répandu souvent son sang. Il prenait à témoin son Auteur par ses blessures et la fidélité de son âme. Les yeux tournés vers le ciel, il méprisait la chair et la terre. Il a vaincu cependant, et la tendre enfance de l’Eglise demanda que soit reportée à plus tard la réalisation du désir du martyr. Je parle de cette enfance, mes frères, qui l’emporte toujours, qui combat plus avec les larmes qu’avec des arguments. Car le visage et la sueur des forts n’ont pas autant de pouvoir que les larmes des petits, parce que, dans le premier cas, ce sont les corps qui sont blessés, et dans l’autre, les cœurs. Dans le premier cas, les raisonnements laissent indifférents, dans le second, la pitié descend elle-même à genoux.
Que dire de plus, mes frères ? La sainte mère l’Eglise a fait en sorte de ne jamais être séparée de son chef. Il est toujours vivant. Comme un bon pasteur, il est toujours présent dans son troupeau ; et l’esprit qui a distancé le corps pour un temps n’en est jamais séparé. Je dis que l’esprit a précédé son corps par sa forme, mais qu’il continue à se reposer parmi nous dans l’habitation de son corps. Le diable a été vaincu, le persécuteur git par terre. Il règne et il vit celui qui a désiré être mis à mort pour son roi, qui vit et règne avec le Père en l’unité du Saint-Esprit, Dieu pendant tous les siècles des siècles.