C’est aujourd’hui la solennité de la Fête Dieu pour ceux qui n’ont pas pu la célébrer jeudi. Selon le diktat de François, l’évangile doit être lu selon la traduction officielle de l’épiscopat, comme à toutes les messes. Comme je ne le vois dit nulle part, je répète que ce diktat pontifical est illégitime. La messe selon le missel de 1962 est une messe latine, elle a un évangile en latin. S’il faut absolument traduire cet évangile, on doit le traduire du texte latin. Sinon ce n’est pas l’évangile de la messe latine, et l’on ne suit pas le missel de 1962.
Ce n’est pas un détail. Car les « lectures » de la messe imposées par François sont des « traductions » de ce qu’on appelle frauduleusement les « textes originaux » (hébreu et grec) et elles s’éloignent souvent du texte latin qui devrait être la référence.
Deux exemples dans l’évangile de ce jour.
La « traduction » officielle dit :
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. »
Le texte latin dit mot à mot :
« Ma chair vraiment est nourriture, et mon sang vraiment est boisson. »
La « traduction » officielle n’est même pas une traduction du texte grec critique censé être le « texte original ». Car dans ce texte il n’y a pas d’articles définis. Il dit :
« Ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est une vraie boisson. »
Aucun manuscrit n’a l’article défini. Parce que Jésus ne l’a pas employé. Parce que le Créateur sait bien que le pain profane, lui aussi, lui d’abord, est une vraie nourriture.
Il se trouve que le texte latin traditionnel est aussi ce que dit le texte grec de toute la tradition byzantine et le texte syriaque de toute la tradition syriaque. Il y a une unanimité parfaite. Imposer le texte fabriqué par les experts des conférences épiscopales est donc une rupture de tradition, et un accroc à l’œcuménisme, au moment où c’est paraît-il une priorité.
Le texte grec qui dit « Ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est une vraie boisson » est celui de la majorité des manuscrits. Mais le manuscrit le plus ancien, le papyrus Bodmer P66, découvert en 1952, a exactement le même texte que le texte byzantin traditionnel qui est le texte syriaque traditionnel qui est le texte latin traditionnel. Celui qui insiste sur « vraiment ».
Ensuite, le texte latin, grec et syriaque traditionnel dit unanimement : « Ce n’est pas comme ont mangé vos pères la manne, et ils sont morts. »
La « traduction » officielle dit : « il (le pain qui est descendu du ciel) n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts. »
On remarque ici plusieurs modifications. La plus importante, et qui en commande une autre puisqu’on supprime le complément d’objet de « ont mangé », est la suppression de la manne, et du possessif qui précède immédiatement dans le texte grec : « vos (pères) ». Ici, le papyrus 66 n’a pas non plus ces mots. Il est donc probable qu’ils ont été ajoutés. Mais si la « Bible de la liturgie » adapte souvent les textes, c’est, nous dit-on, pour le rendre immédiatement compréhensible lors de sa proclamation. Eh bien c’était précisément l’intérêt de dire « vos pères » qui ont mangé « la manne ». Car si un chrétien instruit le comprend tout de suite, ce n’est pas évident aujourd’hui pour tout le monde que « le pain » (quel pain ?) que « les pères » (quels pères ?) ont mangé était la manne. Le propos de Jésus est elliptique, même s’il se comprend par le contexte. Mais c’était judicieux de le préciser, comme l’ont fait les trois grandes traditions scripturaires et liturgiques. Et là aussi c’est une rupture de tradition, et un accroc à l’œcuménisme, que de donner un autre texte dans la liturgie, outre que c’est illégitime de l’imposer à la messe latine traditionnelle.
Commentaires
En matière de traduction, l'intérêt de s'en tenir à la tradition scripturaire est qu'elle impose un certain respect pour le texte. Il faut voir les traductions de l'Evangile, des Actes ou des Epîtres proposées dans les manuels scolaires d'histoire (Chapitre Naissance et diffusion du christianisme). Non seulement les profs certifiés ou agrégés qui rédigent ces manuels et ne connaissent pour la plupart ni le grec ni le latin proposent "leur" traduction qui altère le texte, mais ils suppriment des passages entiers sans prendre la peine de le signaler par des points de suspension entre crochets. Le Magnard de sixième (2009), par exemple, sucre toute l'introduction à la Parabole du Bon Samaritain dont il fait disparaître le Lévite et une bonne partie des soins donnés au blessé, le reste étant proposé dans un style pesant. Et tout est à l'avenant...
On ne m'empêchera pas de penser que tout cela témoigne plus ou moins consciemment d'une paresse intellectuelle mêlée d'irrespect, de je-m'en-foutisme et de mauvaises intentions : il ne faudrait surtout pas donner envie aux gamins d'ouvrir une Bible en rentrant chez eux !
Merci très intéressant. Les traductions sont en fait très importantes, je le comprends de plus en plus. En changeant un petit mot ou même l'ordre des mots, on a un sens différent et on ne comprend plus rien, ou le contraire de ce que l'on devrait comprendre , ce qui est très grave en matière de foi.
Dans les missels anciens, les traductions sont tellement supérieures, on est ému en les lisant, on tremble un peu, dans les nouveaux, ça n'a malheureusement rien à voir, c'est au mieux très en dessous.
Au passage, un détail : les plus anciens manuscrits hébraïques de l AT ne datent que de l an 1000 (sauf Isaie retrouvé intégralement à Qumran)
Un manuscrit du Livre d'Isaïe a été retrouvé dans son intégralité, mais il y a bien d'autres textes de la Bible hébraïque qui ont été retrouvés à Qumran, ainsi qu'un fragment de l'Evangile selon saint Marc.
Ce dernier point conforte la thèse d'Etienne Couvert selon lequel les Esséniens étaient des chrétiens (et non Jésus "un Essénien qui aurait réussi").
Vos remarques sont souvent stimulantes, et je trouve intéressant votre commentaire, mais ne vous êtes-vous pas trompé (ou alors je ne sais plus lire un apparat critique! ou alors mon édition est périmée?) mais le papyrus 66 a la leçon alêthês, et non alêthôs, comme Clément d'Alexandrie et d'autres. Au reste, l'incertitude des manuscrits, malgré les traditions liturgiques, ne montrent-elles pas que le sens des deux leçons est semblable? La vulgate s'éloigne aussi parfois du texte de la liturgie, comme vous le faites remarquer souvent, et cela ne discrédite pas l'un contre l'autre.
Je me réfère à Nestle-Aland puisque c'est la référence nec plus ultra des modernes. Il y a bien -θῶς pour P66 (P66*). Il y a ensuite l'indication que le texte a été corrigé par la suite en -θής (P66c).
Que le texte de la Vulgate soit souvent différent du texte de la liturgie quand ce texte est plus ancien que celui de la Vulgate n'entre pas en ligne de compte. Ce que je veux dire est que si l'on veut traduire le texte de la liturgie latine on doit traduire le texte de la liturgie latine, et non un autre.
Dans son délire detructeur, traditionis custodes demande d'utiliser la traduction du lectionnaire du nouveau Missel, alors qu'il existe déjà une traduction officielle française datant de 1964 .
Elle doit être remplacée par la traduction actuelle, alors que les péricopes et les cycles de lectures sont différents entre novus et vetus ordo.
C'est totalement ubuesque, et pour cela, beaucoup de prêtres ferment les yeux en continuant d'utiliser le lectionnaire de 1964.
On y trouve la traduction de ce passage : "Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment une boisson."
Passage suivant : Ce n'est pas comme vos pères qui ont mangé la manne, et ils sont morts".
Il faut croire qu'il y a une désir d'occulter une meilleure traduction.
Et le bout de la logique voudrait que l'on imprime de nouveaux lectionnaires hors de prix avec la nouvelle traduction quand ceux de 1964 ( dont la qualité du français est meilleure) font très bien l'affaire.
Le grec ancien ne met pas d'article défini devant l'attribut. C'est une des premières règles de syntaxe que l'on apprend (1).
Et le latin n'a pas d'article défini.
Il faut donc souvent l'ajouter pour être fidèle au sens, dans les langues où l'article défini est important, fréquent, comme le français ...et le breton.
(1) Cependant il y a des exceptions (souvent chez les philosophes, Platon, Aristote, qui ont besoin de précision et parlent leur jargon.
Comme vous le dites, c'est une règle basique. Merci de préssuer que tout le monde la connaît. Si vous lisiez S. Jean en grec, vous verriez qu'il met presque partout l'article. D'où la remarque de Daoudal.