L'Abbesse, seule éveillée parmi le peuple de ses brebis,
Écoute son frère qui parle et qui ne sait pas qu'il est minuit.
Son frère, c'est Saint Benoît, patriarche des Moines d'Occident.
Scolastique le regarde et tremble et loue Dieu qui l'a rendu si grand !
Elle a fait ce qu'il lui a commandé de faire et elle sait que c'était bien,
L'Abbesse dans le grand vestige de l'Abbé, attentive jusqu'à la fin.
Maintenant ce n'est pas qu'elle écoute mot à mot et comprenne tout ce qu'il dit :
Benoît est avec elle simplement, et demain elle sera dans le Paradis.
Et de même que le soir, en ces temps où l'on met la table en plein air,
La lampe éclaire d'en dessous le noyer qui paraît vermeil et vert,
Avec sa tige et le feuillage frais rempli de fruits pondéreux,
L'arbre au-dessus de la famille d'où sort un souffle ténébreux,
Tout de même dans l'ombre de Dieu et la stature de ce puissant qui la protège
Scolastique écoute son frère et ses paroles qui tombent comme de la neige !
Elle entend le nom de Jésus dans sa bouche et elle frémit :
Il est là, c'est son dernier jour de la terre et demain elle sera dans le Paradis.
C'est fini. Que Dieu est grand et qu'il est magnifique d'être né !
Son frère, c'est Saint Benoît, elle a fait ce qu'il lui avait commandé.
C'est bien son tour à présent de lui faire faire ce qu'elle veut, ainsi que les femmes en ont l'art !
Il parle, et parfois s'interrompt, s'inquiète et il lui semble qu'il est tard.
Mais alors on entend ce grand vent et cette grande pluie
Qu'accorde à sa fille Scolastique Dieu qui est à qui le prie.
Elle sourit, Benoît cède, et attend avec patience et douceur,
Tout plein de textes et d'idées, et les yeux fixés sur sa sœur,
Que le tonnerre à son tour ait fini et lui permette de reprendre le fil.
Et c'est pourquoi le charretier à deux mains qui retient ses chevaux indociles,
Le meunier en toute hâte dans la nuit qui court pour lever les vannes de son écluse,
La barque qui fuit devant le temps comme une caille qui piète et ruse,
S'étonnent et ne comprennent rien du tout à cette furie de tempête à tout casser,
Qui sans rime ni raison s'est tout-à-coup déchaînée,
Afin que les Anges tranquillement écoutent comme une musique
Benoît, pur comme un enfant, qui cause avec sa sœur Scolastique.
Paul Claudel, Corona benignitatis anni Dei.
Commentaires
merci pour le beau poème de Claudel, où la seule rime riche est douceur/soeur...