(Graduel de l'abbaye de Saint-Victor, XIIIe siècle)
Verbum bonum et suave,
Personemus illud Ave
Per quod Christi fit conclave
Virgo, mater, filia.
Cette parole bonne et suave, faisons-la résonner : Ave, par laquelle le Christ fit de la Vierge, sa mère et sa fille, une chambre fermée.
Per quod Ave salutata
Mox concepit fecundata
Virgo David stirpe nata,
Inter spinas lilia.
Saluée par cet Ave, aussitôt fécondée elle conçut, la Vierge née de la souche de David, lis entre les épines.
Ave, veri Salomonis
Mater, vellus Gedeonis,
Cujus Magi tribus donis
Laudant puerperium.
Ave, mère du véritable Salomon, toison de Gédéon, dont les Mages louent l’enfantement avec trois dons.
Ave, solem genuisti;
Ave, prolem protulisti,
Mundo lapso contulisti
Vitam et imperium.
Ave, toi qui as engendré le soleil, Ave, toi qui as produit une lignée, tu as apporté au monde déchu la vie et la souveraineté.
Ave, sponsa Verbi summi,
Maris portus, signum dumi,
Aromatum virga fumi,
Angelorum Domina.
Ave, épouse du Verbe très-haut, port de la mer, signe du buisson, colonne de fumée d’aromates, maîtresse des anges.
Supplicamus : nos emenda,
Emendatos nos commenda
Tuo Nato, ad habenda
Sempiterna gaudia.
Nous te supplions : corrige-nous, et une fois corrigés recommande-nous à ton Fils, afin que nous ayons la joie éternelle.
Cette jolie et toute simple séquence était très connue au moyen âge, puisqu’elle se trouve dans pas moins de 155 livres répertoriés par le site Cantus Index. On la voit semble-t-il pour la première fois dans le Codex 339 de Saint-Gall, qui date de 980. Mais elle y a été ajoutée (au cours du XIe siècle). Voir ci-dessous. On constate des variantes : « inter rosas lilia » (ce qui est très curieux), l’inversion de protulisti et genuisti, et « regis summi » au lieu de « verbi summi », ce que l’on retrouvera par la suite dans certains manuscrits, dont le graduel de Rouen du XIIIe siècle.
« Inter rosas » est curieux, et manifestement une erreur, parce que l'expression fait référence au Cantique des cantiques, qui a « sicut lilium inter spinas » : Marie est « comme le lis parmi les épines ». Il n’y a pas de roses dans le Cantique des cantiques.
La séquence énumère par ailleurs les autres figures de la Mère de Dieu, dont deux prophéties de sa virginité perpétuelle : le buisson ardent qui ne se consume pas (mais je n’avais jamais vu le mot « dumos » pour le désigner), la toison de Gédéon. La colonne de fumée d’aromates vient aussi du Cantique des cantiques, et le « conclave », la chambre fermée à clef, est une autre figure de la virginité perpétuelle (en écho de la cellaria du Cantique des cantiques). Marie est la mère du vrai Salomon parce que Salomon était le plus grand roi d’Israël et l’auteur des livres de la Sagesse... dont le Cantique des cantiques où il est le Bien-Aimé. « Aromatum virga fumi » est encore une des figures de Marie dans le Cantique des cantiques.