Postcommunion :
Repléti cibo spirituális alimóniæ, súpplices te, Dómine, deprecámur: ut, hujus participatióne mystérii, dóceas nos terréna despícere et amáre cæléstia.
Rassasiés de cet aliment de nourriture spirituelle, suppliants, Seigneur, nous te prions de nous apprendre, par la participation à ce mystère, à mépriser les choses de la terre et à aimer les choses du ciel.
Il paraît que l’événement liturgique du moment est la parution de la « nouvelle traduction » du « missel » de Paul VI. On nous dit qu’elle est « meilleure » que la précédente et qu’il faut donc s’en réjouir. Mais une bonne traduction d’un mauvais texte est pire que la mauvaise traduction d’un mauvais texte. Avec celle-ci on sait que c’est mauvais, avec celle-là on fait croire que c’est bon, alors que le texte est toujours aussi mauvais.
Cela ne sert à rien d’autre qu’à abuser les fidèles que de donner une nouvelle traduction de ces collectes Frankenstein fabriquées par petits bouts pris çà et là hors contexte et imprégnées d’idéologie dominante, ou ces psaumes défigurés et censurés, ou ces péricopes de la Sainte Ecriture modifiées et soigneusement expurgées.
La postcommunion de ce jour en est un exemple topique (qui sert pour toute l’année). La fin a été ainsi modifiée :
…terrena sapienter perpendere, et caelestibus inhaerere.
Le fabricant en chef des nouvelles oraisons, le bénédictin (hélas) Antoine Dumas, a expliqué :
« Le besoin d’adaptation s’est révélé nécessaire dans le cas de nombreuses oraisons, par souci de vérité. Par exemple, plusieurs textes, depuis longtemps trop connus, mettaient en opposition radicale la terre et le ciel ; d’où le couple antithétique, souvent répété dans l’ancien Missel : terrrena despicere et amare caelestia qu’il est possible de bien comprendre mais très facile de mal traduire. Une adaptation s’imposait donc qui, sans nuire à la vérité, tenait compte de la mentalité moderne et des directives de Vatican II. Ainsi, la prière après la communion du 2me dimanche de l’Avent dit très justement : sapienter perpendere, au lieu du mot : despicere, si souvent mal compris. »
Pour une exégèse de ce propos, on se reportera au chapitre 5 de ma série « Il y a 50 ans » (sur ce blog, cliquer en haut de la colonne de droite).
En bref, on a supprimé une expression qui parcourait toute l’année liturgique et qui était ancrée dans toute la tradition patristique et dans l’évangile et les épîtres, pour faire correspondre les oraisons à la « mentalité moderne ».
La nouvelle expression montre d’emblée qu’elle est nouvelle par le mot « perpendere », qui ne se trouve nulle part dans la Vulgate ni dans la liturgie traditionnelle. (C’est ce qu’ils osent appeler « restaurer la liturgie »). Dom Dumas proposait comme traduction française :
… évaluer sagement les choses terrestres et adhérer aux choses célestes.
La traduction officielle jusqu’à maintenant disait :
… (apprends-nous) le vrai sens des choses de ce monde et l’amour des biens éternels.
La nouvelle traduction officielle est en effet « meilleure », c’est-à-dire plus proche du texte fabriqué par dom Dumas :
… (apprends-nous à évaluer avec sagesse les réalités de ce monde et à nous attacher aux biens du ciel.
On a donc fini par prendre le mot « évaluer » de dom Dumas. On ne sait pas si le fidèle est censé chercher un bureau d’évaluation des réalités de ce monde, pour obtenir un audit. Toujours est-il que le mot latin inconnu de la liturgie n’avait pas ce sens chez les pères de l’Eglise, qui l’utilisent très peu. Le seul qui l’utilise vraiment est saint Grégoire le Grand, surtout dans sa Règle, et essentiellement pour dire qu’on doit considérer avec soin, avec attention, nos actions (et non les choses). Et surtout considérer attentivement à quel point telle action ou telle attitude est répréhensible. Et non pas « évaluer avec sagesse les réalités ».
Enfin, voici de brefs extraits de la comparaison entre les oraisons des dimanches de l’Avent selon l’ancien missel et le nouveau, sous la plume de Loren Pristas (« The collects of the Roman Missals », avec imprimatur) :
Les verbes de mouvement des deux ensembles décrivent des mouvements exactement opposés : dans les collectes de 1962, le Christ vient à notre rencontre ; dans celles de 1970, nous allons à la rencontre du Christ, nous arrivons, nous sommes amenés à, etc.
Les prières de 1970 ne contiennent aucune référence au péché ni à ses dangers ; aux ténèbres ou à l'impureté de l'esprit; à la faiblesse humaine ou au besoin de miséricorde, de pardon, de protection, de délivrance, de purification. En outre, l’idée que nous devons subir une transformation pour entrer au ciel n’est évoquée que par le mot eruditio, instruction ou formation, dans la collecte du deuxième dimanche. (…)
Ceux qui prient les collectes de 1970 ne cherchent pas l’assistance divine pour survivre aux périls ou pour commencer à faire du bien. En effet, ils n'expriment aucun besoin de telles aides. Ils demandent plutôt à entrer au paradis à la fin. En revanche, ceux qui prient les collectes de 1962 ne cherchent pas explicitement le ciel, mais exigent - les verbes à l’impératif - une aide quotidienne immédiate et personnelle sur le chemin. (…)
Par ces trois différences, nous arrivons à un constat très délicat. En termes simples, la foi catholique considère que toute bonne action qui nous fait progresser vers le salut dépend de la grâce divine. Cette doctrine est formellement définie et elle ne peut être modifiée de façon à en inverser la portée. Chaque nuance des collectes de l'Avent de 1962 exprime sans ambiguïté cette doctrine catholique de la grâce, à la manière assez subtile et non didactique propre aux oraisons. Bien que les collectes de l'Avent de 1970 ne contredisent pas explicitement l'enseignement catholique sur la grâce, elles ne l’expriment pas et, plus inquiétant, elles ne semblent pas l'assumer.
Commentaires
Le retour du CONSUBSTANTIEL, la fin du PÉCHÉ DU MONDE (remplacé par LES PÉCHÉS), c'est tout de même une victoire, et ça va dans la bonne direction.
D'accord avec vous pour les Collectes, mais Dieu merci ! elles passent au-dessus des assemblées dominicales ordinaires, qui ne lisent rien, que le Kyriale (en français). En revanche elles minent la foi du clergé.
Pour ma part, je dis "consubstantiel" depuis longtemps, même si "de même nature" n'est pas une traduction hérétique mais seulement incomplète. De même, je récite le Notre-Père que j'ai appris et je vouvoie le Bon Dieu : "Ne nous laissez pas succomber à la tentation..."
Je trouve des lourdeurs : "Il prit le pain, prononça la bénédiction..." Je n'aime pas : "Nous annonçons ta mort..."
L'ancienne traduction, c'est celle de mon enfance. Peut-être est-elle trop elliptique et sans doute la messe de saint Pie V est-elle grandement préférable à celle de Bugnini. Je me dédouane d'assister assez souvent à celle-ci parce que le curé de la paroisse où j'y assiste fait preuve d'un grand respect pour l'eucharistie, et aussi parce que c'est moins loin, et dans un quartier où je peux encore me garer. De toute façon, à chacun sa tradition, qu'il ne faut point trop bousculer sans des motifs très sérieux.
Ras-le-bol des nouvelles traductions des lectures, des prières, du missel ! C'est toujours la même chose : le moucheron et le chameau, l'hypocrisie pharisaïque. On disserte sur les subtilités de "Ne nos inducas in tentationem", et pendant ce temps-là on veut donner la communion aux pécheurs publics, on reçoit des champions de l'avortement en grande pompe et on veut faire d'une tarlouze revendiquée un cardinal !
D'ailleurs, on commence par nous bousculer gentiment, mais vous verrez qu'on prépare le terrain. Dans quelque temps, on voudra changer les paroles de la consécration pour les rendre invalides.
Merci cher Yves
Quand on voit l exaltation écologique actuelle, on se dit que l évaluation de ce monde aboutit à un bilan très négatif !
Merci cher Yves
Quand on voit l exaltation écologique actuelle, on se dit que l évaluation de ce monde aboutit à un bilan très négatif !