Antiphonaire cistercien de Leubus (Lubiąż), 1295.
Bernardus Doctor inclytus,
Caelos conscendit hodie,
Quem attraxit divinitus
Splendor paternae gloriae.
Bernard l’illustre docteur monte aujourd’hui aux cieux, lui que la splendeur de la gloire du Père attire divinement.
Exsultet caelum laudibus
De Bernardi consortio,
Quem conjungis caelestibus,
Jesu, nostra redemptio.
Que le ciel exulte en louanges pour la compagnie de Bernard, lui que Jésus notre rédemption tu joins aux habitants du ciel.
Rufum dorso per catulum
Praefigurasti puerum
Fore Doctorem sedulum,
Conditor alme siderum.
Par un petit chien au dos roux tu as figuré par avance que l’enfant serait un zélé docteur, ô sacré créateur des astres.
Nascentis ei claruit
Clara Christi nativitas,
Hoc a te donum habuit,
O lux, beata Trinitas.
La glorieuse nativité du Christ naissant brilla pour lui, il reçut ce don de toi, ô lumière, Trinité bienheureuse.
Arcana sacrae paginae
Declarat, et mysterium
Quod effecit in Virgine
Deus, creator omnium.
Il dévoile les arcanes des pages sacrées, et le mystère que Dieu, le créateur de toute chose, a réalisé dans la Vierge.
Rore perfusum gratiae
Monstrat dulcor eloquii;
Per te fons sapientiae,
Summi largitor praemii.
La douce saveur de sa parole montre qu’il est baigné de la rosée de la grâce, par toi, source de la sagesse, qui accordes les récompenses suprêmes.
Detentos a daemonibus
Sanat, morbos languentium
Curat, confert doloribus
Magnum salutis gaudium.
Il guérit ceux qui sont tenus par les démons, il soigne ceux qui souffrent de maladies, il apporte à leurs douleurs la grande joie du salut.
Vita vivit feliciter
Cum Maria Christifera
Cum qua degustat dulciter
Aeterna Christi munera.
Il vit dans le bonheur de la Vie avec Marie porteuse du Christ, avec laquelle il déguste la douceur des dons éternels du Christ.
Summae Deus potentiae,
Tibi sit laus et gloria:
Da post cursum miseriae
Beata nobis gaudia. Amen.
Dieu de la puissance suprême, à toi soit la louange et la gloire, donne-nous les joies bienheureuses après le cours de cette vie de misère. Amen.
Cette hymne des vêpres de la fête de saint Bernard, dans le bréviaire cistercien, existait dès le XIIIe siècle.
On remarque :
— qu’elle est en acrostiche : les premières lettres de chaque strophe donnent BERNARDUS.
— que chaque strophe se termine par le premier vers d’une hymne du bréviaire : Splendor paternae gloriae est le premier vers de l’hymne des laudes du lundi (le dimanche dans le bréviaire cistercien). Jesu, nostra redemptio est le premier vers de l’hymne des vêpres de l’Ascension. Conditor alme siderum est le premier vers de l’hymne des vêpres de l’Avent. O lux, beata Trinitas est le premier vers de l’hymne des vêpres du samedi. Deus, creator omnium est le premier vers de l’hymne des vêpres du dimanche. Summi largitor praemii est le premier vers d’une hymne cistercienne des matines du carême. Magnum salutis Gaudium est le premier vers d’une hymne pour la procession des Rameaux. Aeterna Christi munera est le premier vers de l’hymne des matines des fêtes des apôtres. Beata nobis gaudia est le premier vers de l’hymne des laudes de la Pentecôte.
La troisième strophe fait allusion au songe de la mère de saint Bernard enceinte : elle se vit accoucher d’un chien blanc avec des poils roux sur le dos. C’était une prophétie que son fils serait un confesseur et un docteur, selon l’explication que fait saint Grégoire le Grand de l’épisode des chiens léchant les plaies du pauvre Lazare : « Il n’est pas rare que dans la Sainte Ecriture les chiens désignent les prédicateurs. La langue des chiens guérit en effet les blessures en les léchant, et les saints docteurs aussi, quand ils nous enseignent lorsque nous leur confessons nos péchés, touchent en quelque sorte les plaies de notre âme avec leur langue. Et puisqu’ils nous arrachent à nos péchés par leurs paroles, c’est comme s’ils nous rendaient la santé en touchant nos blessures. »
La strophe suivante fait allusion à Bernard enfant qui s’endormit en attendant la messe de minuit et eut la vision de l’Enfant Jésus naissant, épisode qui le marqua profondément.
Antiphonaire cistercien de 1669.
Commentaires
Mais le dos rouge (Rufum dorso) ?
"Petit chien" s'explique bien (l'hymne ne dit pas qu'il était blanc), mais le dos rouge ?
En fait rufus c'est plutôt roux, et je corrige. J'ai mis rouge parce que j'avais sous les yeux la traduction anglaise qui a "red", et aussi, de façon plus ou moins consciente, parce que ça expliquait un peu: c'est le rouge du sang des blessures que le chien guérit avec sa langue. Pourquoi le rouge se retrouve sur son dos, ça je ne sais pas, et Guillaume de Saint-Thierry ne le dit pas davantage:
Dans sa troisième grossesse, alors qu'elle portait Bernard dans son sein, elle eut un songe qui présageait les futures destinées de cet enfant car elle rêva qu'elle portait dans son sein un petit chien qui aboyait ; il avait le corps tout blanc, à l'exception du dos qui était roux. Saisie d'une vive frayeur à ce songe, elle alla consulter un religieux qui, recevant en ce moment le don de prophétie dont était animé David quand il disait à Dieu: «Les langues de vos chiens seront teintes du sang de vos ennemis (Ps 67,25)», répondit à cette femme que la crainte et l'anxiété agitaient: N'ayez pas peur, tout est pour le mieux; vous serez mère d'un excellent petit chien, qui sera le gardien de la maison de Dieu et qui fera entendre à sa porte de grands aboiements contre les ennemis de la foi. Ce sera, en effet, un prédicateur remarquable, et, comme un bon chien; de sa langue salutaire il guérira en bien des gens de nombreuses plaies de l'âme.
L'anglais et le breton distinguent mal ROUX et ROUGE : red hair, rous blev...
Merci pour l'explication par le chien qui lèche.
Le bûcheron qui venait chez mes parents - et qui coupait aussi les cheveux à l'occasion - appelait mon frère "bléo gwenn", cheveux blancs, parce qu'il était très blond.
Ce qui m'a toujours réjoui est qu'en breton le même mot veut dire bleu et vert : glaz, c'est la couleur de la mer.