Ce superbe tableau de Jaume Huguet (1460) est censé représenter les saints Abdon et Sennen. Ainsi voyait-on au XVIe siècle les deux princes persans martyrisés à Rome en 250. C’est la partie centrale d’un retable qui se trouve en l’église Saint-Pierre de Terrassa (province de Barcelone).
La partie supérieure représente une crucifixion. La prédelle évoque curieusement, mais très manifestement, les saints Côme et Damien. De chaque côté, quatre scènes concernant Abdon et Sennen : ils sont condamnés, ils sont exposés aux lions et aux ours qui ne les toucehent pas, ils sont décapités. Le quatrième tableau représente l’histoire d’Arnulphe ramenant de Rome à Arles-sur-Tech des reliques des martyrs. Histoire que raconte ainsi Prosper Mérimée (Notes d’un voyage dans le midi de la France, 1835) :
Il faut savoir qu'autrefois, je ne saurais dire précisément à quelle époque, le territoire d'Arles fut infesté d'une grande quantité de bêtes féroces, lions, dragons, ours, etc., qui mangeaient les bestiaux et les hommes. La peste vint encore ajouter aux maux qui affligeaient la contrée. Un saint homme nommé Arnulphe, résolut d'aller chercher des reliques à Rome pour guérir l'épidémie et chasser les animaux féroces. Pendant longtemps ce fut l'unique remède dans toutes les calamités. Arrivé à Rome, Arnulphe exposa au Saint-Père la misère de ses concitoyens et lui présenta sa requête. Le pape, touché de compassion, l'accueillit avec bonté, et lui permit de choisir parmi les reliques conservées à Rome, exceptant toutefois celles de saint Pierre et d 'un certain nombre de saints, dont il eût été imprudent de se dessaisir.
Arnulphe était embarrassé pour se décider ; après avoir passé tout un jour en prières, il s'endormit et eut un songe dans lequel deux jeunes hommes lui apparurent: « Nous sommes, dirent-ils, Abdon et Sennen, saints tous deux. De notre vivant, nous étions princes. La Perse est notre patrie. Nous avons été martyrisés à Rome, et nos corps sont enterrés en tel lieu ; exhume-les et porte-les dans ton pays, ils feront cesser les maux qui l'affligent. »
Le lendemain, Arnulphe, accompagné d'une grande foule du peuple, et suivi de travailleurs pourvus d'instruments convenables, fit fouiller l'endroit indiqué. On trouva bientôt les corps des deux jeunes gens, parfaitement conservés, reconnaissables pour saints à l'odeur. Il les exhuma en grande pompe, et se disposa à les emporter. Arnulphe était un homme prudent ; il pensa que, pendant le long voyage qu'il avait à faire pour retourner dans son pays, il pouvait trouver bien des gens qui voudraient s'approprier le trésor qu'il portait, car on se faisait peu de scrupule alors de s'emparer, même par force, des reliques de vertus bien constatées. Pour détourner les soupçons, il mit ses saints dans un tonneau enfermé dans un autre beaucoup plus grand, qu'il remplit d'eau. Dès qu'il fut en mer, les matelots firent un trou au tonneau, croyant qu'il contenait du vin ; mais, s'étant aperçus qu'il n'y avait que de l'eau, ils ne poussèrent pas plus loin leurs recherches. Je passe rapidement sur les événements du voyage, tempêtes apaisées, vents favorables et le reste. Arnulphe, débarque à Reuss avec ses reliques en double futaille, entendit toutes les cloches sonner d'elles-mêmes et se garda bien d'expliquer la cause de la merveille.
Le chemin de Reuss à Arles était alors extrêmement mauvais et pratiquable seulement pour les mulets. Le tonneau est donc chargé sur un mulet, et le saint homme, avec un guide, se met en route. Dans un sentier dangereux, bordé d'affreux précipices, le muletier, homme grossier et brutal, crut qu'il fallait donner du courage à sa bête et lâche un gros juron. Soudain, le mulet tombe dans le précipice et disparaît. On juge du désespoir d'Arnulphe. Retrouver le mulet était impossible ; retourner à Rome en quête d'autres reliques ne l'était pas moins. Il prit le parti de poursuivre sa route et de rentrer dans sa ville natale. Quelle est sa surprise et sa joie en rentrant à Arles, d'entendre sonner les cloches et de voir, sur la place de l'église, tout le peuple à genoux entourant le mulet et son tonneau qui avait déjà opéré la guérison des pestiférés et fait déguerpir les lions et autres bêtes féroces.
Arnulphe tira d'abord les saints de leur tonneau et quant à l'eau, il la versa bonnement dans un tombeau vide pour s'en débarrasser, où un lépreux, qui vint s'y laver fut guéri dans l'instant. D'autres malades vinrent bientôt constater la vertu de cette eau miraculeuse. Avertis de sa propriété, les moines du lieu la renfermèrent avec soin et n'en donnèrent plus que pour de l'argent. Elle coûte encore vingt sous la fiole ; mais on n'en donne pas à tout le monde. Il faut en demander en catalan pour en obtenir, et pour avoir parlé gavache j'ai eu le chagrin d'être refusé.
La "sainte tombe". En 1910, l'abbé Craste, curé-doyen d'Arles, avait publié un ouvrage dans lequel il mettait au défi les "libres-penseurs" d'expliquer la présence de l'eau dans le sarcophage, leur promettant une récompense de mille francs si le mystère était éclairci. La somme avait été déposée chez maître de Noëll, notaire à Arles-sur-Tech. Personne ne l'a jamais réclamée.
Commentaires
Bonjour,
Pour être exact, une explication convaincante a été proposée en 1961 par des hydrologues ayant eu l'autorisation d'observer le phénomène de près durant 2 mois et demi. Je précise que cela n'ôte en rien le caractère exceptionnel de la chose...
http://www.unice.fr/zetetique/articles/sarcophage.html
Si ce sont des Napoléons, il y en a pour 15 000 euros.
Il faudrait passer un vernis imperméabilisant sur toute la surface du sarcophage. Si, au bout de quelques mois et épisodes pluvieux il n'y a pas d'eau à l'intérieur, l'hypothèse de l'infiltration est vérifiée et il n'y a plus de mystère. Si par contre il y a encore de l'eau...alors là! alors là!
L'intérieur de l'église attenante au sarcophage mérite d'être visitée. L'abbaye, la mairie et ses jardins également.
Amha Dieu est un peintre qui n'aime pas les vernis.
Loi bioéthique, validation du jeudi 29 juillet par le Conseil constitutionnel: https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021821DC.htm