Icône d'Emmanuel Tzanes, 1654, Musée de la Mère de Dieu Antivouniotissa de Corfou.
Certains ont l’audace téméraire de calomnier aussi le Saint-Esprit, comme ils calomnient l’unique engendré. Ils le disent devenu et créé, et le tirent complètement en dehors de la consubstantialité avec Dieu le Père. Eh bien opposons à leur logorrhée la parole de la foi droite, engendrons pour nous même et pour nos lecteurs des occasions d’être utiles ! Dites-moi donc : si l’Esprit qui est propre à Dieu – et par là-même existe en lui substantiellement – n’est ni Dieu par nature, ni issu de lui, s’il est autre chose que lui et n’est pas éloigné de la connaturalité avec les choses faites, comment nous, engendrés par son intermédiaire, pouvons-nous être dits « engendrés de Dieu » ? De deux choses l’une : ou bien nous dirons que l’évangéliste ment du tout au tout, ou bien s’il dit vrai, s’il en est ainsi et pas autrement, l’Esprit sera Dieu et issu de Dieu par nature, et en étant jugés dignes de participer de lui par la foi au Christ, nous sommes rendus participants de la nature divine et sommes dits engendrés de Dieu, et pour cela appelés dieux ; nous nous envolons vers une gloire qui nous dépasse, pas seulement par grâce, mais parce que nous avons désormais Dieu qui habite et réside en nous, selon la parole qui se trouve chez le prophète : « Parce que j’habiterai en eux et je m’y promènerai. » En effet, qu’ils nous disent, ceux qui sont remplis d’une si grande sottise, comment nous sommes selon Paul des temples de Dieu en ayant l’Esprit qui habite en nous, si celui-ci n’est pas Dieu par nature ! S’il est une créature devenue, pour quelle raison Dieu veut-il nous détruire au prétexte que nous détruisons le temple de Dieu en souillant notre corps ? En ce corps habite l’Esprit, qui possède toutes les propriétés naturelles de Dieu le Père, et pareillement celles de l’unique engendré. Car comment seront-elles vraies, ces paroles du Sauveur : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons notre demeure chez lui », et en lui nous séjournerons ? C’est bien l’Esprit qui habite en nous, et c’est par lui que, selon notre foi, nous possédons à la fois le Père et le Fils, comme Jean lui-même l’a encore dit quelque part dans ses épîtres : « En ceci nous connaissons que nous restons en lui et lui en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit. »
Commentaire sur saint Jean, I, 9. Traduction Bernard Meunier, Sources chrétiennes.
Commentaires
C'est un texte bien difficile. Non que ce qu'il entend démontrer (L'Esprit Saint n'est ni devenu, ni créé) soit en rien discutable, mais par la démonstration : "Nous sommes dits engendrés de Dieu, et pour cela appelés dieux", donc l’Esprit qui habite en nous est "Dieu par nature". Pourtant saint Cyrille parle aussi deux fois de "l'unique engendré".
Je suppose que le grec, comme le français, emploie le même terme, et je suis un peu perplexe, devant cette démonstration de la divinité de l'Esprit Saint par l'engendrement de la créature.
J'ai lu trop vite ? J'ai mal compris ?
Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une démonstration de la divinité du Saint-Esprit par l'engendrement de la créature. Je ne lis pas ainsi, en tout cas. Sans doute j'aurais dû (j'y ai pensé, puis j'ai laissé comme c'est dans le livre) mettre des capitales à Unique Engendré, qui est la 2e Personne de la Sainte Trinité, Unigenitus en latin.
J'avais compris que l'Unique Engendré, même sans majuscules, était ici le Christ. Saint Augustin insiste sur ce fait dans ses Homélies sur l'Evangile de saint Jean :
"Le Fils est du Père et le Saint-Esprit est du Père, mais l'un est engendré, l'autre procède ; c'est pourquoi l'un est le Fils du Père dont il est engendré, mais l'autre est l'Esprit des deux puisqu'il procède des deux."
Ainsi, en bonne théologie, seul le Fils est engendré, et ni le Père, ni l'Esprit Saint, ni les créatures que nous sommes ne doivent être dites "engendrées". Je suis donc un peu réticent quand saint Cyrille écrit : "Nous sommes engendrés de Dieu et pour cela appelés dieux." "Le Fils de Dieu s'est fait homme pour nous faire Dieu", écrit saint Athanase, ce qui plaît beaucoup beaucoup beaucoup depuis Vatican II. Et alors depuis le vaccin anti-covid !
Mais je suppose que saint Cyrille joue sur les mots. Il paraît, selon Jouassard (Revue des Etudes byzantines, 1953), que les écrits de ce Cyrille "relèvent tous d'une théologie très simple, voire rudimentaire". Me voilà donc rassuré.
"relèvent tous d'une théologie très simple, voire rudimentaire"
Je suppose que c'est une plaisanterie.
Je ne vois pas Léon XIII proclamer docteur de l'Eglise un homme à la théologie rudimentaire. Quant à la liturgie byzantine elle dit:
"Guide de l'orthodoxie, maître de piété et de sainteté, luminaire de l'univers, ornement des pontifes inspiré de Dieu, très-sage Cyrille, tu nous as tous illuminés par tes enseignements, toi qui fus comme une lyre vibrant au souffle de l'Esprit.."
Et ce n'est qu'un tropaire. Il y en a comme ça à foison.
De toute façon il suffit de jeter un oeil sur son commentaire de saint Jean pour comprendre que votre Jouassard est un rigolo.
Il s'agit ici du commentaire de Jean 1, 13-14. Il vous a peut-être échappé que "engendrés de Dieu" est entre guillemets: c'est une citation de saint Jean : "ek Théou egennithissan", le verbe est genao, qui veut dire engendrer, produire, faire naître, etc. Engendrer étant la première traduction donnée par Bailly, qui ne pensait certainement ni à saint Jean ni à saint Cyrille. Or c'est aussi genao qu'on retrouve dans Unique Engendré: mono-genis, au verset suivant.
C'est pour cela que j'ai choisi ce texte.
P.S. Je vois que Peter Butler m'a doublé d'une minute...
P.S. 2 Mystères de l'informatique. Voilà que Peter Butler a été rétrogradé trois minutes après moi...
Ben si, nous sommes engendrés de Dieu, selon le Prologue de l'Evangile selon saint Jean: "all'ek Theou egennethesan" (ils sont engendrés de Dieu)...
Certes, les théologiens modernes, pour contrer Feuerbach, exaltent l'humanité chrétienne, au point qu'on a l'impression qu'ils remplacent Dieu par l'Homme. Il n'empêche que le baptême donne la grâce de l'adoption filiale. Nous sommes juste "fils" dans le Fils, en son corps mystique.
"De toute façon il suffit de jeter un oeil sur son commentaire de saint Jean pour comprendre que votre Jouassard est un rigolo."
C'était aussi mon avis, à la lecture de votre casse-tête. Je le citais ironiquement.
"all'ek Theou egennethesan"
N'ayant pas l'heur d'être helléniste, j'observe que la BDJ attribue cet "être engendré" au Christ, avec une note précisant que cette leçon n'est pas celle couramment admise.
Quant à Crampon, il traduit par "de Dieu sont nés", ce qui correspond à ce que nous donne saint Jérôme pour le verset 13 :
"qui non ex sanguinibus neque ex voluntate carnis neque ex voluntate viri sed ex Deo nati sunt."
Bien qu'on puisse disputer au sujet de saint Cyirille et des traductions, il ne faudrait pas oublier le Credo de Nicée-Constantinople, qui nous dit que le Christ fut "engendré non pas créé", ce qui explique sans doute le malaise de la plupart des traducteurs du Prologue de l'Evangile de saint Jean. Je pense pour ma part qu'au-delà du problème de vocabulaire il s'agit pour tout catholique d'admettre que le Christ est né et mort, ce qui lui confère une existence temporelle comme à tous les autres hommes, et qu'Il est, en même temps (si j'ose dire), coéternel au Père. C'est ce que nous autres hommes ne partageons pas avec Lui.
Vous et moi sommes nés de nos parents qui nous ont engendrés. Je ne vois pas où est le problème.
Il est vrai que la Vulgate traduit le plus souvent genao par naître, toutefois dans 1 Jean 5,18 on a bien :
Scimus quia omnis qui natus est ex Deo, non peccat : sed GENERATIO Dei conservat eum,
Generatio Dei : le fait d’être engendré de Dieu.
Et en I Pierre 1,3 :
Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, qui (…) REGENERAVIT nos in spem vivam, per resurrectionem Jesu Christi.
Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a re-générés, nous a engendrés à nouveau (ana-gennisas).
A propos de la note de la "BDJ", rappelons que egennithissan est un pluriel. Le Christ n'est pas pluriel. On ne trouve le verbe au singulier dans AUCUN manuscrit grec, et dans UN seul manuscrit de la vieille latine. En effet "cette leçon n'est pas celle couramment admise", c'est le moins qu'on puisse dire. Elle a été inventée par des Stavroli qui n'osaient pas penser qu'ils étaient engendrés de Dieu par leur baptême.
Merci. J'ai enfin compris pourquoi le texte de saint Cyrille m'était inaccessible. Je faisais une fixation sur le terme engendré, qui bien sûr ne s'applique pas seulement au Christ.
Cela dit, les "Stavroli" ne sont pour rien dans la traduction ou les notes de la Bible de Jérusalem.
Je ne vois pas bien le rapport entre la doctrine de la déification , Vatican II et le vaccin anticovid ...Cela dit cette doctrine (" Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu" selon Saint Irénée) est une constante chez les Pères, et même chez Saint Paul et on peut se demander pourquoi elle a été pratiquement abandonnée jusqu'à notre époque où nous subissons peut-être sa contrefaçon: sous la forme d'un destin uniquement matériel et sanitaire.
Cher ami, la modestie, qui m'est aussi naturelle que la calvitie, devrait m'interdire de le souligner, mais vous venez de faire un excellent commentaire de texte, qui problématise le lien que je m'étais permis d'établir elliptiquement entre homme divinisé et vaccin anticovid et qui y répond avec un tel brio que je ne puis que vous citer avec admiration (je n'enlèverais que le "peut-être") :
"Nous subissons peut-être sa contrefaçon: sous la forme d'un destin uniquement matériel et sanitaire."