L’évangile de ce dimanche est celui du troisième mystère de l’Epiphanie : l’eau changée en vin aux noces de Cana.
L’antienne de communion résume cet évangile, et la mélodie est très expressive. Il y a d’abord l’annonce solennelle que le Seigneur va parler. Puis il y a ce que dit le Seigneur, un récitatif sur la tonique, qui s’élève et finit également de façon solennelle, car il annonce le mystère qui va se produire. Puis le maître d’hôtel goûte le vin et la mélodie entortillée exprime son extrême perplexité. Finalement il dit son grand étonnement que l’époux serve le meilleur vin à la fin, par le chant, haut et fort, de trois torculus identiques au sommet du mode. Enfin vient la conclusion, récitatif syllabique sauf sur les mots Jésus, premier, et surtout disciples, car ainsi se termine l’évangile : « et ses disciples crurent en lui ».
Dicit Dóminus : Implete hýdrias aqua et ferte architriclíno. Cum gustásset architriclínus aquam vinum factam, dicit sponso : Servásti bonum vinum usque adhuc. Hoc signum fecit Iesus primum coram discípulis suis.
Le Seigneur dit : Remplissez d’eau ces urnes et portez-en au maître du festin. Dès que le maître du festin eut goûté l’eau changée en vin, il dit à l’époux : tu as gardé le bon jusqu’à ce moment. Tel fut le premier miracle que fit Jésus devant ses disciples.
Par le chœur des maîtres de chapelle réunis en juillet 1982 à Fontevraud, sous la direction du chanoine Jeanneteau. Avec un verset du psaume 65 :
Dicite Deo : Quam terribilia sunt opera tua, Domine !
in multitudine virtutis tuæ mentientur tibi inimici tui.
Dites à Dieu : Que tes œuvres sont terribles, Seigneur !
Face à la grandeur de ta puissance tes ennemis te mentiront.
Commentaires
Le commentaire est peut-être classique, mais le contraste entre les différents segments est si net qu'il peut presque passer pour caricatural.
Le "récitatif" initial est orné (style neumatique, un ou deux neumes composés par syllabes) et mesuré : "Dicit Dóminus".
La citation du christ est plutôt sobre, dans les graves, mais s'élève et commence à frétiller à l'évocation du "architriclíno", du maître du festin (une plaie à chanter pour les chorales grégoriennes, ce ἀρχιτρίκλινος, et répété deux fois...).
Suit un second récitatif, toujours orné et raisonnable : "Cum gustásset architriclínus aquam vinum factam, dicit sponso"...
Et là, dans ce qu'a dit le maître de cérémonie à l'époux, tout dérape, on part dans un délire hallucinant de bulles euphoriques, une mélodie qui monte trois fois sur le mi aigu (!) sur les accents toniques de "servasti", "vinum" et "usque".
Ah, l'euphorie du vin nouveau, c'est pas de la petite bière, on sent l'excitation jubilaire, et le grégorien le suggère avec beaucoup d'humour. Hyps, du grec, Hypsos, la profondeur, il a atteint la profondeur de l'ivresse. La présence réelle de Dieu, réellement reçue lors de la noce, ça décoiffe. Ça vous met hors de vous-même, littéralement, une ex-stase. La censure du qu'en-dira-t-on n'est plus qu'un souvenir lointain.
Le contraste est d'autant plus plaisant avec la conclusion plus que sobre, énoncée non plus dans le style neumatique qui jusqu'à présent avait gouverné la pièce, mais en simple style syllabique (une note -ou rarement un neume simple- par syllabe), presque notarial en contraste : "Hoc signum fecit Iesus primum coram discípulis suis".
Pince-sans-rire. Genre Droopy, "You know what? I'm happy".
La morale musicale de la pièce est que le "vin nouveau" apporté par le Christ n'a rien à voir avec ce à quoi on s'attendait - ça nous rend "autres". Radicalement.
Et aussi, qu'en en lisant simplement le témoignage notarial de l’Évangile, on en perd l'essentiel : il faut le vivre, et se laisser porter par l'esprit (de vin?)!
Santé!