Extrait de l’introduction à son autobiographie
« Devant le saint sacrement, je sens le Christ présent d'une façon inexplicable . » Son expérience mystique était toute centrée sur le Christ. Il vivait en profondeur le mystère trinitaire, la filiation divine, la possession par l’Esprit, mais c'est dans et par le Christ qu'il les vivait. Saint Bernard l'aurait trouvé très naturel ; n'a-t-il pas écrit que c'est dans le Christ que le Père et l'Esprit nous donnent le baiser de l’union mystique ? Ces phénomènes ont eu lieu avec le contact de l’Eucharistie. Par là, il rejoignait cette ligne de la mystique eucharistique qui trouve ses expressions les plus heureuses chez les pères Grecs et chez saint Bonaventure. Ainsi, on est moins étonné d'apprendre qu'il a reçu de Dieu la grâce de conserver intactes dans sa poitrine les espèces sacramentelles, et cela d'une communion à l'autre. Son témoignage est clair et ferme, et c'est le témoignage d'un saint qui, par ailleurs, est un homme serein et nullement porté à l'illusion.
D'autre part, cette grâce vient s'insérer harmonieusement dans la vie de quelqu'un qui a une grande dévotion à l’Eucharistie ; elle vient marquer le mariage mystique de son âme avec Dieu. N'est-il pas normal que l'union transformante lui soit venue par l’Eucharistie, sacrement de l’incorporation ? Une recherche sur la doctrine des Pères concernant l’incorporation au Christ réalisée par la présence des espèces sacramentelles en nous pourrait jeter beaucoup de lumière sur ce cas extraordinaire.
Le Saint s'est d'ailleurs aperçu du vrai sens de la grâce : recevant en son cœur, peu avant sa mort, une participation à l'amour que Jésus-Christ avait pour ses ennemis, il l'expliquera par ce texte de Saint-Paul dont il expérimente la vérité : « Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi. »
Uni au Christ, il a vécu intensément le mystère maternel de Notre-Dame. C'est peut-être l’aspect de sa spiritualité le plus étudié jusqu'ici, tant il est évident. Dès son enfance, il a éprouvé une dévotion toute filiale à la mère de Dieu. Avec la dévotion au saint sacrement, ce fut le trait dominant de son enfance et de sa jeunesse. L'ambiance locale, le bon exemple de sa famille et les écrits de saint-Alphonse de Liguori l’ont également profondément marqué. Puis, à un certain moment, prenant conscience de sa vocation apostolique, il la considérera comme un don de Notre-Dame.
Chose curieuse, tandis que pour expliquer la vocation apostolique en général, il parlera de la mission donnée au Fils par le Père et aux apôtres par le Fils, sans faire mention du rôle qu’y joue la Vierge Marie, il expliquera sa propre vocation en la rapportant uniquement à Notre-Dame. Il est son missionnaire car c'est d'elle qu'il a reçu la vocation. La Vierge l'envoie, le lance de ses propres mains, comme une flèche. C’est elle qui le réconforte et qui attire sur son ministère les bénédictions de Dieu. Plus tard, apprenant les conversions causées par la dévotion au Cœur de Marie, ses œuvres principales commenceront à être appelées de ce titre, tandis que l’installation de l’Archiconfrérie du Cœur Immaculé de Marie constituera l’un des points fondamentaux de ses missions. Il en est de même dans sa vie spirituelle : beaucoup de paroles intérieures et d'illuminations proviennent de la Vierge Marie. C'est elle qui, dans une vision, lui donne l'Enfant-Jésus et le rassure sur la réalité de la conservation des espèces sacramentelles. La Très Sainte Vierge est toujours auprès de son Fils dans la vie mystique du Saint.
Transformé dans le Christ, sa connaissance du mystère pascal se voit du même coup approfondie. C'est le moment des visions concernant divers mystères de Notre-Dame. Mais, remarquons-le, si notre Seigneur ne se montre jamais à lui sans que la main maternelle de la Vierge n'y intervienne, il ne verra Notre- Dame qu'à côté du Christ. Marie est pour lui non pas la médiatrice d'un Christ distant et inaccessible mais la compagne même du Christ, son aide dans l'œuvre du salut. Elle sera toujours présente à lui, mais comme une part du mystère du Christ. Il y a là une différence très nette entre la dévotion mariale de saint Antoine-Marie Claret et celle d'autres écoles modernes de spiritualité. Voici les trois lignes de force de la spiritualité clarétaine : vocation apostolique, piété profondément christologique et dévotion filiale à Marie.
Et puisqu’on ne dit jamais pourquoi saint Antoine-Marie Claret, ancien archevêque de Cuba, confesseur de la reine d’Espagne, est mort à 62 ans dans un monastère français, voici les dernières lignes de la longue introduction signée Jean-Marie Lozano :
S'il n'a pas vu se réaliser son désir de donner sa vie pour le Seigneur Jésus, il a souffert un long martyre spirituel dans les dernières années de sa vie. La souffrance est alors allée en progressant : exil, campagne de presse, demandes d'extradition pour le faire juger par un tribunal révolutionnaire... Dieu l’en a libéré en le rappelant à Lui. Mais, même dans mort, il devait ressembler au Christ : il est mort seul, privé presque de tous ses amis, accueilli par charité dans un monastère.