(Saint-Gall, codex 388, XIIe siècle)
D’abord il y eut ici et là une dévotion aux cinq joies de la Sainte Vierge, correspondant aux cinq Gaude (réjouis-toi) d’une antienne manifestement inspirée de l’Acathiste (et qui fut aussi un trope d’introït) :
Gaude, Dei genitrix virgo immaculata,
Gaude, quae gaudium ab angelo suscepisti;
Gaude, quae genuisti aeterni luminis claritatem;
gaude mater, gaude sancta Dei genitrix virgo;
tu sola mater innupta, te laudat omnis factura genitricem lucis.
(Sis pro nobis, quaesumus, perpetua interventrix).
Réjouis-toi, mère de Dieu, vierge immaculée,
Réjouis-toi, qui as reçu la joie de l’ange,
Réjouis-toi, qui as engendré la clarté de la lumière éternelle,
Réjouis-toi, mère, réjouis-toi, sainte vierge mère de Dieu,
Toi seule mère inépousée, toute la création te loue, mère de la Lumière,
(Intercède pour nous, nous te le demandons, perpétuellement).
Puis il y aura sept joies, et les franciscains notamment en répandirent la dévotion avec leur « rosaire séraphique » ou « couronne des sept allégresses ». Puis on ira jusqu’à célébrer 15 joies. Ce dont témoigne la belle prière qu’il y avait dans le Livre d’Heures de René d’Anjou, reproduite ci-dessous.
Puis les servites inventèrent une dévotion aux « sept douleurs », et Pie VII en fit une fête liturgique, tandis que les « sept joies » étaient tombée en disgrâce (même si l’on remarque la fondation d’une paroisse « Notre Dame des 7 Allégresses » - par des franciscains - à Trois-Rivières au Québec en 1911 – église fermée depuis 2018, tandis qu’une autre église de la ville a déjà été vendue aux musulmans…)
Pourquoi y a-t-il une messe des Sept Douleurs, et pas de messe des Sept Joies ? Pourquoi toujours s’enfoncer dans le dolorisme au lieu de regarder le Ciel ? (Et a-t-on remarqué que deux des sept douleurs font partie des mystères... joyeux du Rosaire?)
Voici la prière de René d'Anjou. Je me permets de moderniser l'orthographe pour que ce soit plus facile à lire.
Douce dame de miséricorde, mère de pitié, fontaine de tous biens, qui portâtes Jésus-Christ 9 mois en vos précieux flancs et l'allaitâtes de vos douces mamelles, belle, Très douce dame, je vous crie merci, et vous prie que vous veuillez prier votre doux Fils qu'il me veuille enseigner, et me donne en telle manière vivre que je puisse venir à sa miséricorde et à vraie confession et repentance de tous les péchés que fis onques. Et ainsi, vous le prierez, belle, très douce dame; et je m'agenouillerai 15 fois devant votre bénie image en l'honneur et en remembrance des 15 joies que vous eûtes de votre cher Fils en terre. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quant le saint ange Gabriel vous apporta la nouvelle que le Sauveur de tout le monde viendrait en vous.
Douce dame, priez-le qu'il [veuille] venir en mon cœur spirituellement. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand vous allâtes à la montagne visiter sainte Elisabeth votre cousine; et elle vous dit que vous étiez bénie sur toutes femmes, et que le fruit de votre ventre était béni.
Douce dame, priez-le qu'il me veuille rassasier. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand vous le sentîtes mouvoir en vos précieux flancs.
Douce dame, priez-le qu'il veuille émouvoir mon cœur à l'aimer, connaître, servir et honorer. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand il naquit de vous au jour de Noël.
Douce dame, priez-le qu'il m'octroie sa bénie nativité à ma rédemption. Amen. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand les pasteurs trouvèrent vous et votre doux Fils.
Douce dame, priez-le que je (le) puisse trouver en toutes mes tribulations. Amen. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand les trois rois vinrent offrir à votre doux Fils or, myrrhe et encens, et il les reçut.
Douce dame, priez-le qu'il veuille recevoir mon oraison. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand vous l'offrîtes au temple, et saint Syméon le reçut entre ses bras.
Douce dame, priez-le qu'il veuille recevoir mon âme quand elle partira de mon corps. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand vous eûtes perdu votre cher Fils et vous le retrouvâtes entre les Juifs en Jérusalem.
Douce dame, priez-le que si je l'ai par mes défauts perdu et par mes péchés, que je le puisse retrouver par vos saints mérites et requêtes. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand vous fûtes semoncée aux noces archetriclin là où votre cher Fils mua l'eau en vin.
Douce dame, priez-le qu'il veuille muer la mauvaiseté de mon cœur en faisant bonnes œuvres. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes quand votre Fils Jésus-Christ reput cinq mille hommes de cinq pains d'orge et de 2 poissons.
Douce dame, priez-le qu'il veuille mes cinq sens gouverner. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie et amère compassion quand vostre doux Fils Jésus-Christ souffrit mort et passion en la Croix pour nous.
Douce dame, priez-le que la mort qu'il souffrit me veuille délivrer de mort d'enfer. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes au jour de Pâques, quand votre doux Fils ressuscita de mort à vie.
Douce dame: priez-le que je puisse en telle manière ressusciter au tremblable jour du jugement que je le puisse voir au salut de mon âme. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes au jour de l'Ascension, quand votre doux Fils monta au cieux.
Douce dame, priez-le que je traîne après lui mon cœur et toutes mes pensées. Ave Maria.
Très douce dame, pour cette grande joie que vous eûtes au jour de votre Assomption quand votre doux Fils vous emporta aux cieux et vous couronna à sa droite.
Douce dame, priez-le pour moi et pour tous pécheurs et toutes péchereses que Dieu leur donne grâce de sortir de leurs péchés et d'amender leurs vies. Et pour les trépassés, qu'ils aient merci et pardon de leurs péchés. Amen. Ave Maria.
Commentaires
Oui, il y a bien deux écueils, le dolorisme auto-centré sur soi mais aussi l'enthousiasme écervelé des bisounours qui voient le bien partout. La Croix nous montre que la souffrance existe et qu'elle peut devenir source de résurrection et de joie. La sainte Vierge est le modèle à suivre: nulle excitation, nulle complaisance, l'humilité pure au service de la Volonté de Dieu.
Très belle prière, très touchante, que je vais conserver précieusement pour la réciter !