Cette fête a été supprimée en 1960 (mais la messe a été conservée dans la rubrique « pro aliquibus locis »). Les épurateurs avaient déjà frappé. L’affaire est typique de leur idéologie. Puisqu’il est incontestable que la « Porte latine » faisait partie des remparts d’Aurélien construits dans les années 270-280, il est évident que saint Jean n’a pas pu être plongé dans une marmite d’huile bouillante « devant la Porte latine ». Longtemps après, on édifia en ce lieu un oratoire de « Saint Jean dans l’huile », puis, à côté, une église dédiée à saint Jean. Mais, puisqu’on n’a aucune trace d’une présence de saint Jean à Rome, on conclut qu’il n’est jamais allé à Rome. Et donc que tout cela est une invention. En outre, aujourd’hui, dernier stade du nihilisme intra-ecclésial, tout le monde sait qu’il y a plusieurs saint Jean, dont aucun, grosso modo, n’a écrit d’évangile ni d’apocalypse.
Il reste que c’est Tertullien qui rapporte que, durant la persécution de Domitien, l’apôtre et évangéliste saint Jean fut amené à Rome et plongé dans une chaudière d’huile, d’où il ressortit indemne. (Puis fut exilé à Patmos par le même Domitien.)
Tertullien évoque le fait dans son traité De praescriptione haereticorum, écrit autour de l’an 200. Il le cite parmi des faits réels qui doivent faire voir aux hérétiques où est la seule Eglise catholique. Voici le passage, dans la traduction de Genoude. On remarque, d’une part que Tertullien ne donne aucune précision topographique (mais c’est bien à Rome), d’autre part qu’il évoque le fait en passant, comme quelque chose de connu dans le monde chrétien.
Mais voulez-vous satisfaire une louable curiosité, qui a pour objet le salut, parcourez les Eglises apostoliques, où président encore, et dans les mêmes places, les chaires des Apôtres ; où, lorsque vous écouterez la lecture de leurs lettres originales, vous croirez voir leurs visages, vous croirez entendre leur voix. Etes-vous près de l'Achaïe, vous avez Corinthe ; de la Macédoine, vous avez Philippes et Thessalonique. Passez-vous en Asie, vous avez Ephèse ; êtes-vous sur les frontières de l'Italie, vous avez Rome, à l'autorité de qui nous sommes aussi à portée de recourir. Heureuse Eglise, dans le sein de laquelle les Apôtres ont répandu toute leur doctrine avec leur sang, où Pierre est crucifié comme son maître, où Paul est couronné comme Jean-Baptiste, d'où Jean l'Evangéliste, sorti de l'huile bouillante sain et sauf, est relégué dans une île ! Voyons donc ce qu'a appris et ce qu'enseigne Rome, et en quoi elle communique particulièrement avec les Eglises d'Afrique. Elle croit en un seul Dieu créateur de l'univers, en Jésus-Christ son Fils, né de la vierge Marie ; elle confesse la résurrection de la chair ; elle reçoit, avec la loi et les prophètes, les Evangiles et les lettres des Apôtres. Voilà les sources où elle puise sa foi. Elle fait renaître ses enfants dans l'eau, elle les revêt du Saint-Esprit, elle les nourrit de l'Eucharistie, les exhorte au martyre, et rejette quiconque ne professe pas cette doctrine. C'est cette doctrine, je ne dis plus qui nous annonçait des hérésies pour les temps à venir, mais de qui elles sont sorties. Il est vrai que du moment qu'elles se sont élevées contre elle, elles ne lui appartiennent plus. Du noyau d'un fruit doux et nécessaire, de l'olive, des grains de la figue la plus exquise, viennent des plantes trompeuses et stériles, des oliviers et des figuiers sauvages ; de même les hérésies, quoique nées dans notre fonds, nous sont absolument étrangères : la semence de la vérité a dégénéré chez elles, et le mensonge en a fait comme autant de plantes sauvages.
La suppression de cette fête est d’autant plus dommageable que sa collecte est plus que jamais d’actualité…
Deus, qui cónspicis, quia nos úndique mala nostra pertúrbant : præsta, quǽsumus ; ut beáti Joánnis Apóstoli tui et Evangelístæ intercéssio gloriósa nos prótegat.
O Dieu, qui nous voyez troublés par les maux qui nous arrivent de toutes parts, faites, nous vous en prions, que la glorieuse intercession du bienheureux Jean, votre Apôtre et Évangéliste, nous serve de protection.
Commentaires
C'est d'ailleurs sur la porte du petit oratoire de cette église qu'il y a la fameuse expression "au plaisir de Dieu" (en français!) qui a inspiré le roman du même nom qui a fait connaître Jean d'Ormesson