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Saint Jérôme

Extrait d’une lettre à Rufin :

Votre ami Bonosus, ou plutôt le mien, et pour parler plus juste notre ami commun, monte maintenant au ciel par cette échelle mystérieuse que Jacob vit en songe durant son sommeil; il porte sa croix sans penser au lendemain et sans regarder en arrière. Il sème avec larmes afin de recueillir avec joie, et il élève dans sa retraite ce serpent mystérieux que Moïse éleva autrefois clans le désert. Après ce bel exemple d'une vertu, non pas imaginaire, mais véritable, que les Grecs et les Latins cessent de nous vanter les vertus chimériques de leurs prétendus héros. Voici un jeune homme élevé avec nous dans les sciences et les arts, distingué parmi ses égaux par son rang et par ses richesses, qui abandonne sa mère, ses sœurs et un frère chéri, pour se retirer dans une île, inhabitée, affreuse par sa solitude, environnée de rochers escarpés et de récifs redoutables aux navigateurs; il y est néanmoins comme un nouvel habitant du paradis. Là, dans ce vaste désert, pas un paysan, pas un moine ; il n'a pas même avec lui le petit Onésime que vous avez connu, qui par ses caresses lui rappelait un frère. C'est là que seul (si toutefois c'est être seul que d'être toujours avec Jésus-Christ) il contemple cette gloire de Dieu que les apôtres même ne purent voir que dans un lieu isolé. Sans doute, il n'y voit point ces grandes villes flanquées de tours, mais aussi il est devenu habitant d'une nouvelle cité. Tout son corps est couvert d'un rude cilice : mais c'est l'état le plus convenable pour aller clans les nuées au-devant de Jésus-Christ. Il ne jouit point de l’agrément des aqueducs, mais il boit dans au flanc même du Seigneur une eau vive et salutaire. Jetez pour un moment les yeux sur son désert, mon cher ami, et tournez de ce côté-là toutes vos pensées; témoin de ses travaux et de ses combats, vous pouvez plus aisément célébrer ses victoires.

Autour de cette île mugit une mer toujours furieuse, et les flots se brisent contre les rochers avec un bruit épouvantable qui retentit au loin. La terre stérile et nue n'y montre aucune verdure, et la campagne desséchée et sans arbres n'y offre point d'ombre. Partout ce ne sont que des rochers escarpés, qui forment une espèce de prison qu'on ne saurait envisager sans horreur. Là, Bonosus, tranquille, intrépide et muni des armes de l'Apôtre, tantôt écoute Dieu dans de saintes lectures, et tantôt lui parle dans de ferventes prières ; peut-être même qu'enfermé dans son île il voit une partie de ce que saint Jean vit dans celle de Patmos.

De quels artifices pensez-vous que le démon se sert pour le séduire? Combien de pièges ne lui tend-il pas pour le surprendre? Peut-être qu'employant contre lui les mêmes ruses dont il se servit autrefois contre le Fils de Dieu, il tâchera de lui persuader de rompre son jeûne; mais on lui a déjà répondu que « l'homme ne vit pas seulement de pain. » Peut-être étalera-t-il à ses yeux les richesses et la gloire du siècle; mais on lui dira : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans les tentations. » Et avec saint Paul : « Je mets toute ma gloire en Jésus-Christ. » Il accablera par les maladies un corps déjà épuisé par le jeûne ; mais on le repoussera avec ces paroles de l'Apôtre : « Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis plus fort. » Et ailleurs : « La vertu se perfectionne dans la faiblesse. » Il le menacera de le faire mourir, mais on lui répondra: « Je souhaite de me voir dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ. » Il lancera contre lui des traits enflammés; mais on les recevra avec le bouclier de la foi. Enfin le démon fera tous ses efforts pour le vaincre; mais Jésus-Christ le prendra sous sa protection.

Je vous remercie, Seigneur Jésus, de m'avoir donné un homme qui puisse prier pour moi au grand jour du jugement. Vous savez (car vous pénétrez les secrets de nos cœurs, et avec ces yeux qui virent autrefois un prophète enfermé dans le ventre de cette bête, vous découvrez tout ce qui s'y passe), vous savez, dis-je, que nous avons été, lui et moi, nourris du même lait, et élevés ensemble depuis nos plus tendres années jusqu'à l’âge adulte; que les mêmes personnes nous ont portés dans leurs bras; qu'après avoir fini nos études à Rome, et lorsque sur les bords à demis barbares du Rhin nous n'avions qu'une même table et un même toit, je commençai le premier à m'attacher à votre service. Souvenez-vous, je vous prie, que ce guerrier qui combat aujourd'hui si vaillamment pour votre gloire a commencé avec moi à porter les armes. Vous nous avez promis, Seigneur, et je compte sur votre parole, que « celui qui enseignera les autres, mais qui ne pratiquera pas, sera le dernier dans le royaume du ciel; mais que celui qui enseignera, et qui pratiquera, sera très grand dans le royaume du ciel. » Que Bonosus jouisse de la récompense due à sa vertu; que, revêtu de cette robe précieuse qu'il a méritée par un continuel martyre, il marche à la suite de l'Agneau (car il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste, et parmi les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre). Quant à moi, Seigneur, je vous demande de pouvoir être aux pieds de vos saints. S'il a accompli ce que j'ai seulement souhaité de faire, accordez-moi le pardon que mérite ma faiblesse, et à lui la récompense due à son zèle.

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