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Plasmator hominis Deus

Hymne des vêpres du vendredi, évoquant le 6e jour de la création. Traduction en vers de Jean Racine.

Plasmátor hóminis Deus,
Qui cuncta solus órdinans,
Humum jubes prodúcere
Reptántis et feræ genus :

Dieu, qui avez façonné l'homme de vos mains, vous qui, disposant seul toutes choses, faites sortir du sol la race des reptiles et des animaux.

Créateur des humains, grand Dieu, souverain maître,
De ce vaste univers,
Qui du sein de la terre, à ton ordre, vis naître
Tant d’animaux divers :

Qui magna rerum córpora,
Dictu jubéntis vívida,
Ut sérviant per órdinem,
Subdens dedísti hómini :

Ces êtres, dont la masse imposante fut animée au souffle de votre voix, vous les avez soumis à l'empire de l'homme.

A ces grands corps sans nombre et différents d’espèce,
Animés à ta voix,
L’homme fut établi par ta haute sagesse
Pour imposer ses lois.

Repélle a servis tuis,
Quidquid per immundítiam,
Aut móribus se súggerit,
Aut áctibus se intérserit.

Eloignez de vos serviteurs toute impureté qui se glisse dans nos mœurs ou s'insinue dans nos actes.

Seigneur, qu’ainsi ta grâce à nos vœux accordée
Règne dans notre cœur ;
Que nul excès honteux, que nulle impure idée
N’en chasse la pudeur.

Da gaudiórum præmia,
Da gratiárum múnera :
Dissólve litis víncula,
Astrínge pacis fœdera.

Donnez-nous la récompense du céleste bonheur, donnez les faveurs de vos grâces, brisez les chaînes de la discorde ; resserrez les liens de la paix.

Qu’un saint ravissement éclate en notre zèle ;
Guide toujours nos pas :
Fais d’une paix profonde à ton peuple fidèle
Goûter les doux appas.

Præsta, Pater piíssime,
Patríque compar Unice,
Cum Spíritu Paráclito
Regnans per omne sæculum. Amen.

Règne, ô Père éternel, Fils, Sagesse incréée,
Esprit-Saint, Dieu de paix,
Qui fais changer des temps l’inconstante durée,
Et ne changes jamais.

Commentaires

  • Plasmator m’intrigue. Apparemment il ne peut guère s’employer à propos de Dieu qu’en tant qu’Il est modeleur du corps humain à partir de la terre, ce que rend bien la traduction de Racine.

    Forcellini, Georges, Lewis & Short, Gaffiot ne citent qu’un passage de Tertullien, et du Cange n’est pas très disert.

    Tertullien offre pas mal de noms d’agent en -tor.
    https://archive.org/details/syntaxundstilde01hoppgoog/page/n127

    Ce passage de Adversus Judaeos, 2, aligne conditor, gubernator, plasmator, sator, chaque fois un mot choisi avec soin.

    Cur etenim deus universitatis conditor mundi totius gubernator hominis plasmator universarum gentium sator legem per Moysen uni populo dedisse credatur et non omnibus gentibus adtribuisse dicatur?

    Il s'agit de savoir pourquoi il faudrait croire que le Dieu qui créa l'universalité des êtres, qui gouverne le monde tout entier, qui forma l'homme de ses mains, qui sema sur la terre tous les peuples sans exception, n'aurait donné sa loi par Moïse que pour un seul peuple, au lieu de la donner pour toutes les nations.

  • Plasmator vous intrigue mais vous ne dites pas pourquoi… Il se trouve que lorsqu’on dit cette hymne tous les vendredis (hors fêtes) depuis des décennies on peut difficilement être intrigué.
    Peut-être est-ce parce que vous trouvez que le mot n’est pas latin. De fait il a été forgé à partir du grec plasma (ce qui est formé, façonné), du verbe plasso. D’où chez les pères latins le verbe plasmo, et le substantif en –tor.

    Dans son explication des psaumes, saint Augustin explique plusieurs fois que lorsqu’on a le verbe « fingo » ce n’est pas pour dire « feindre » ou « faire une contrefaçon » mais former, façonner, comme un potier (« figulus »). Cela montre qu’à son époque le verbe « fingo » avait déjà pour sens principal le seul qu’il a pris en français : feindre, fiction… Dans son explication du psaume 118, il dit que pour cette raison certaines versions (ce sera ainsi dans la Vulgate) ont « manus tuae (…) plasmaverunt me » au lieu de « finxerunt me ». Et dans son homélie suivante, où il continue l’explication du même psaume, en rappelant où on en est arrivé, il dit… « plasmaverunt ».

    En fait, en grec classique comme en latin classique, ces mots ont d’abord le sens de façonner, puis celui de feindre. Mais l’importation latine n’a gardé du mot grec que le premier sens, pour remplacer le mot latin qui avait pris le deuxième sens.

    Dans la famille, on a aussi le verset de l’hymne Pange Lingua de saint Venance Fortunat : « De parentis protoplasti / fraude factor condolens. » Notre père premier façonné.
    Ce mot ne s’applique pas qu’à l’homme. Le psaume 73 dit à Dieu : tu as façonné (« plasmasti ») l’été et le printemps.
    Et saint Augustin dans l’explication du psaume 138 dit qu’il n’est pas de créature dont Dieu ne soit le « plasmator ».

    Il est possible que Tertullien, dont l’importance a été très grande par le fait qu’il est le premier père latin, soit à l’origine de « plasmator ».

  • Ça ne serait en effet pas étonnant si c’était Tertullien qui a fabriqué plasmator. Au vu de sa (magnifiquement dense) phrase accumulant les noms en -tor, ce serait très plausible.

  • Dans la poésie en vieil islandais et en vieil anglais, on aime beaucoup utiliser des périphrases, souvent métaphoriques, les kennings. Un article érudit sur l’origine latine de certains kennings en vieil anglais est ici :

    https://archive.org/details/jstor-27699980/page/n1

    L’auteur y énumère les sources religieuses (Bible, hymnes, poésies latines, etc.). On y trouve une bonne double douzaine de noms d’agent en -tor pour Dieu, dont notre fameux plasmator.

    Je trouve un renvoi à un hymnaire où l’hymne en question est attribuée à Grégoire le Grand, VIe siècle, si je comprends bien.

    Ensuite l’auteur cite « plasmator saeculi », moins évident, qui se trouverait dans une hymne de « Cosmas Matealensis », nom en fait erroné pour Cosmas Japygus = Cosmas Materiensis, Cosmas de Matera (localité calabraise), homme d’Église du milieu du Xe siècle.

    Noter ce détail. En vieil anglais, le mot courant pour créateur est scyppend (et variantes), où on reconnaîtra le verbe actuel shape, former. Le scyppend est donc étymologiquement le shaper = le formateur, le plasmator, en somme.

    On le trouve par exemple au dernier vers de cet extrait d’un poème en vieil anglais. Il est question du déluge. Et scyppend usser = our shaper.

    https://lrc.la.utexas.edu/eieol/engol/70#glossed_text_gloss_17807

  • Ce Cosmas de Matera semble avoir été un versificateur subtil.

    « Cosmas Materiensis , qui vivait vers 950,
    a composé des vers récurrents dont le
    rhythme est encore plus compliqué :
    Contulit agminibus fratrum pia munera Christus;
    orgia ferre Deus contulit agminibus.
    Sumere plena rosis, at lipsana sacra violis
    martyricis sertis, sumere plena rosis
    Ughelli, Italia Sacra, II, col. 139 »

    https://archive.org/details/posiespopulair00dum/page/86

  • Tout ce que vous brûliez de savoir sur Cosimo di Matera = Cosmas Materiensis = Cosmas Japygus.

    http://www.treccani.it/enciclopedia/cosma-da-matera_%28Dizionario-Biografico%29/

  • "Noter ce détail. En vieil anglais, le mot courant pour créateur est scyppend (et variantes), où on reconnaîtra le verbe actuel shape, former. Le scyppend est donc étymologiquement le shaper = le formateur, le plasmator, en somme. "
    Vous ne savez pas si Itzik Manger donne la traduction en yiddish ? Je la cherche depuis des lustres.

  • J’aurais aimé vous obliger, mais hélas je n’ai pas sous la main les œuvres de cet écrivain. Cherchez encore de votre côté, en particulier pour voir s’il utilise
    באַשעפֿער
    Vous voyez que c’est quasiment l’allemand Schöpfer et le vieil anglais scyppend. Ça tombe bien, non ?

  • Thank you, big bad Curmudgeon.

  • Tertullien est un introducteur de mots technique de la théologie, comme Trinitas, persona, substantia. Pour ce qui est de plasmator, je lis ceci (Sasha Zamler-Carhart) :

    « The word plasmator ‘creator’, in which a Latin ending has been tacked on to the end of a Greek root, is one of the most common hallmarks of Christian Latin usage in the Middle Ages. It first appears under Tertullian’s pen (Adversus Judaeos, 2) but probably owes its popularity in musical texts to its use in a hymn by pope Gregory the Great (Plasmator hominis, deus). Its use gradually wanes with the rise of humanist Latin, where the more strictly Latin creator is preferred, though it is still found in musical texts at the end of the 15th century, e.g. in the troped Kyrie of Johannes Tinctoris’ Missa L’Homme Armé »

    http://sasha.zamler-carhart.com/research/Dunstaple.pdf

    En français médiéval, on connaît la série : plasmacïon, plasmator, plasmature, plasmer Verbe, plasmer Nom = plasmator.

    Plasmator / plasmateur est attesté dans le Mystère de la Passion, d’Arnoul Gréban, ca 1450. Il y figure même 3 fois (vers 329, 563, 1750). On y trouve aussi plasmacion (vers 230).

    Le verbe plasmer figure dans un poème biblique du dénommé Erat, ca 1198. Le nom plasmer est dans un fragment poétique sur la Genèse, ca 1300. Source : Takeshi Matsumura, Dictionnaire du français médiéval, 2015.

    L’expression « le souverain plasmateur » figure à la Renaissance dans Pantagruel. Plasmateur est aussi dans Maurice Scève (Blason de la Gorge), chez Marguerite Briet = Helisenne de Crenne, qui appelle Dieu « l’Altitonnant Plasmateur ». Et encore dans Anatole France (TLF).

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