De ce que l’histoire évangélique ne donne aucun détail sur la visite que le Christ fit à sa mère pour la consoler, après qu’il fut ressuscité, on ne saurait conclure que le très miséricordieux Jésus, source de toute grâce et de toute consolation, si empressé à réjouir les siens par sa présence, aurait oublié sa mère qu’il savait avoir été si pleinement abreuvée des amertumes de sa Passion. Mais il a plu à la providence de Dieu de ne pas nous manifester cette particularité par le texte même de l’Évangile, et cela pour trois raisons.
En premier lieu, à cause de la fermeté de la foi qui était en Marie. La certitude qu’avait la Vierge-mère de la résurrection de son fils ne fut ébranlée en rien, même pas par le doute le plus léger. On le croira aisément, si l’on veut réfléchir à la grâce très particulière dont fut remplie la mère du Christ-Dieu, la reine des Anges, la maîtresse de l’univers. Le silence de l’Écriture à ce sujet en dit plus que l’affirmation même aux âmes vraiment éclairées. Nous avons appris à connaître Marie lors de la visite de l’Ange, au moment où l’Esprit Saint la couvrit de son ombre ; nous l’avons retrouvée au pied de la croix, mère de douleurs, se tenant près de son fils mourant. Si donc l’Apôtre a pu dire : « En proportion de ce que vous aurez eu part aux souffrances, vous participerez aux consolations » ; calculez d’après cela la mesure selon laquelle la Vierge-mère dut être associée aux joies de la résurrection. On doit donc tenir pour certain que son très doux fils ressuscité l’a consolée avant tous les autres. C’est ce que la sainte Église Romaine semble vouloir exprimer en célébrant à Sainte-Marie-Majeure la Station du jour de Pâques. Autrement si, de ce que les Évangélistes n’en disent rien, vous vouliez conclure que son fils ressuscité ne lui est pas apparu en premier lieu, il faudrait aller jusqu’à dire qu’il ne s’est pas du tout montré à elle, puisque les mêmes Évangélistes, dans les diverses apparitions qu’ils rapportent, n’en signalent pas une seule qui la concerne. Une telle conclusion aurait quelque chose d’impie.
En second lieu, le silence de l’Évangile s’explique par l’infidélité des hommes. Le but de l’Esprit Saint, en dictant les Évangiles, était de décrire celles des apparitions qui pouvaient enlever tout doute aux hommes charnels au sujet de la croyance en la résurrection du Christ. La qualité de mère eût diminué à leurs yeux le témoignage de Marie ; et c’est pour ce motif qu’elle n’a pas été alléguée, bien qu’il ne pût y avoir, assurément, parmi tous les êtres nés ou à naître, si l’on en excepte l’humanité de son fils, aucune créature dont l’assertion méritât mieux d’être admise par toute âme vraiment pieuse. Mais il fallait que le texte évangélique ne nous produisît que des témoignages qui fussent de nature à être émis en présence de tout le monde ; quant à l’apparition de Jésus à sa mère, l’Esprit Saint l’a laissée à ceux qui sont éclairés de sa lumière.
En troisième lieu, ce silence s’explique par la sublimité même de l’apparition. Après la résurrection, les Évangiles ne disent plus rien sur la mère du Christ, par cette raison que ses relations de tendresse avec son fils furent désormais tellement sublimes, tellement ineffables, qu’il n’y aurait pas de termes pour les exprimer. Il est deux sortes de visions : l’une purement corporelle, et faible en proportion ; l’autre qui a son siège principal dans l’âme, et qui ne convient qu’aux âmes déjà transformées. Admettez, si vous voulez, que Madeleine a eu part avant les autres à la vision purement corporelle, pourvu que vous reconnaissiez que la Vierge a vu avant elle, et d’une manière bien autrement sublime, son fils ressuscité, qu’elle l’a reconnu, et qu’elle a joui tout d’abord de ses délicieux embrassements dans son âme plus encore que dans son corps
Extrait du sermon 52, du dimanche de Pâques, cité par dom Guéranger.