L’hymne des matines au temps de l’Avent, traduction Pierre Corneille.
Verbum supérnum pródiens
A Patre olim éxiens,
Qui natus orbi súbvenis
Cursu declívi témporis,
Verbe du Tout-Puissant, qui du sein de ton père
Viens descendre au secours du monde infortuné,
Et naître d'une vierge mère,
Pour mourir dans le temps par toi-même ordonné :
Illúmina nunc péctora
Tuóque amóre cóncrema;
Audíto ut praecónio
Sint pulsa tandem lúbrica.
Illumine nos cœurs pour chanter tes louanges ;
Embrase-les si bien de tes saintes ardeurs,
Qu'instruits par le concert des anges,
Ces cœurs purs et sans tache exaltent tes grandeurs.
Judéxque cum post áderis
Rimári facta péctoris,
Reddens vicem pro ábditis
Justísque regnum pro bonis.
Qu'alors que tu viendras en ton lit de justice
Dévoiler le secret de nos intentions,
Séparer la vertu du vice,
Et donner la couronne aux bonnes actions,
Non demum arctémur malis
pro qualitáte críminis,
sed cum béatis cómpotes
simus perénnes cǽlibes.
Au lieu d'être livrés aux carreaux que foudroie
Suivant l'excès du crime un juge rigoureux,
Nous goûtions l'éternelle joie
Du sacré célibat avec tes bienheureux.
Laus, honor, virtus, gloria,
Deo Patri et Fílio
Sancto simul Paráclito,
In sæculórum sǽcula. Amen.
Gloire soit à jamais au Père inconcevable !
Gloire au Verbe incarné ! Gloire à l'Esprit divin !
Gloire à leur essence immuable,
Qui règne dans les cieux et sans borne et sans fin !
Cette traduction de Corneille est une assez remarquable paraphrase du texte latin. Sauf pour la fin de la deuxième strophe. Praeconio ne désigne pas le « concert des anges », car ce n’est pas vraiment lui qui nous « instruit », mais bien la proclamation (de l’évangile). Surtout, Corneille glisse sur « lubrica », au point d’inventer un vers qui n’a plus rien à voir avec le texte : « Ces cœurs purs et sans tache exaltent tes grandeurs ». Le texte dit : Que soit enfin repoussé, ou chassé, ce qui est (au sens propre) glissant, c’est-à-dire trompeur et qui nous fait trébucher et tomber dans le péché. D’où finalement le sens de « lubrique ». Que soit éloignée de nous la pente savonneuse du péché… Ce qui est curieux est que le janséniste Lemaître de Sacy, qui devrait amplifier cette allusion à la tentation du péché, reste lui-même très en deçà du texte : « La voix de ton héraut qui dans les déserts tonne / Guérisse nos langueurs. » Et la disproportion est énorme entre l’exagération du héraut « qui tonne dans les déserts » et le penchant au péché qui devient simple « langueur »… (Corneille traduit "caelibes" par "célibataires", ce qui est son sens normal, mais en latin ecclésiastique on a fini par y voir le ciel : "caelum", et "caelibes" sont devenus les habitants du ciel.)
Commentaires
Oui, ces classiques sont parfois étonnants... Je me demande s'ils ne sont pas, surtout les coincés un peu jansénistes, les précurseurs de l'art sulpicien (cf Philippe de Champaigne, encore génial, mais il faut peu de chose...)