A priori saint Laurent n’est pas spécialement populaire en Bretagne. Mais comme la liturgie romaine fait grand cas du diacre martyr, l’égalant aux apôtres, il n’est pas si étonnant de voir que son culte s’y est également implanté. En témoigne par exemple ce cantique, qui fut assez répandu puisque l’abbaye de Landévennec en possède trois versions imprimées différentes du XIXe siècle.
Voici ce cantique avec une traduction de Tangi Gicquel, sur le site de l’église de Saint-Laurent dans le Trégor (dont le premier patron était en fait le saint local saint Louran avant la construction de l’église au XVIIe siècle). On ne peut que saluer le talent de l'auteur anonyme, qui versifie le martyre de saint Laurent avec autant de simplicité dans l'expression que de richesse dans le jeu des sonorités et du rythme.
Le seigneur Saint Laurent martyr
Est à prendre en exemple
Et donnons lui comme à Dieu
La première place dans notre cœur.
Oh oui ! Chrétiens, croyez-le,
Au-dessus de toute chose en ce monde
Le bon et heureux Saint Laurent,
A aimé Jésus.
Il l’a montré avec clarté
Le jour où il fut martyrisé :
Sur le feu du bourreau, l’emportait
Le feu de l’amour de Dieu.
Le dix août à Rome,
Là où il habitait à cette époque,
En l’an deux cent cinquante-huit,
Ce jour-là mourut le saint.
Une guerre terrible avait alors lieu :
Valérien, le tyran cruel,
S’était mis en tête,
De tuer, partout, les Chrétiens.
Quand il donna l’ordre de les emprisonner,
Le Saint Pape en premier lieu,
En attendant d’être supplicié,
Saint Laurent était très inquiet.
Il était éploré
Et continuait à crier : « Mon père,
Si vous m’amenez avec vous à la mort,
Je vous suivrai jusqu’aux cieux. »
Le Pape répondit ceci :
« Mon fils, soyez complètement rassuré,
Ce que vous désirez sera réalisé ;
D’ici trois jours vous me suivrez ;
Et même votre martyre
Sera plus beau que le mien ;
Car vous êtes dans la pleine force de l’âge, cher fils,
Et à mon âge avancé on décline,
Revenez vite sur vos pas,
Cherchez avec soin les biens de l’église,
Partagez tout entre les pauvres,
Le blé, l’argent et l’or. »
Le saint obéit en tout,
Et voici qu’aussitôt vint
Un envoyé de Valérien,
Et qui dit aux Chrétiens :
« Vous garderez l’Evangile,
Votre tas de belles et saintes paroles.
Mais vous devrez donner vos biens,
A Valérien mon seigneur ».
Saint Laurent rétorqua :
« Vous n’aurez pas la moindre miette :
Toutes ces choses
Ont servi d’aumônes, mon cher seigneur ».
L’homme se mit en colère
Lorsqu’il entendit cette mauvaise nouvelle,
Il intima avec une sévérité effrayante :
« Laurent, reniez votre Jésus.
Vous n’êtes pas sans savoir
Qu’a été ordonné à tous
Par Valérien, mon seigneur,
De venir encenser nos dieux. »
Saint Laurent répondit sur le champ :
« Pauvre seigneur, vous perdez votre temps,
Car moi vivant ou mort
Jésus sera mon seul seigneur.
Jamais je n’encenserai
Vos images de bois ;
Je me moque des dieux d’argile
Prêts à tomber sur leur nez ;
Malgré leur beauté extérieure
Ils n’ont pas de puissance ;
Le diable peut tous les emporter,
Et vous peut-être le premier. »
Sur cela, le traître rétorqua :
« Laurent, vous êtes beau parleur,
Vous m’avez assez dit de choses ;
Je ne resterai pas longtemps passif.
Vite ici, hommes ; allumez le feu,
Un feu qui ne brûlera pas vite,
Un feu qui consumera affreusement,
Pour que ses souffrances durent plus longtemps ».
Saint Laurent peu après
Paisible sur son gril disait :
« Ce côté-ci, seigneur, est bien cuit,
Tournez l’autre pour qu’il cuise. »
Peu après il déclara :
« Goûtez la chair des Chrétiens,
Pour savoir, si vous voulez manger,
Elle est meilleure cuite que crue. »
Il souffrit en véritable Chrétien
Tout le long de son martyre
Très courageusement, sans la moindre plainte,
Au point que tous furent surpris.
Par ce coup de force les Romains,
Furent presque conquis par l’Eglise,
Leurs faux dieux renversés :
Saint Prudence l’a dit.
Seigneur Saint Laurent puissant,
Daignez demander à Jésus,
Et à sa mère la Vierge,
Grâce pour que nous mourions dans la sainteté.