(29 mai 1584)
Mardi matin, ayant communié, je considérais les trois facultés de l’âme et je voyais que l’intelligence des créatures, créée par Dieu pour comprendre et chercher Dieu et ses biens, s’employait tout entière à comprendre et rechercher les biens matériels de ce monde.
Puis je considérai que la mémoire, créée pour se souvenir des bienfaits de Dieu, de la Passion du Seigneur, de ses dons et de ses grâces, était occupée elle aussi par le souvenir de choses nocives pour l'âme.
Je voyais aussi que la volonté, créée pour l'union et la conformité à la volonté de Dieu, en était si éloignée, cherchant et voulant les biens de ce monde, et si fort attachée à la terre que, ne pouvant souffrir tant d’aveuglement et d’ingratitude de la part des créatures, je m’écriai dans un élan d’amour : « Non plus la terre, non plus la terre, mais Toi seul suffis, qui es plus grand que la terre ! » Je répétai plusieurs fois ces paroles, et je les prononçai encore à haute voix.
Puis je vis Jésus tout aimable et beau à la droite du Père éternel, avec ses cinq plaies comme cinq très belles chambres nuptiales toutes pleines de joyaux précieux, surtout celle du saint côté, où se tenaient toutes sortes de gens. Mais il me semblait que celle du côté était réservée à ses épouses, à nous qui sommes religieuses, et je voyais des créatures entrer dans ces chambres et en sortir. Les unes se paraient de beaux joyaux, les autres restaient immobiles, et moi je demeurais dans le côté où je voyais toutes nos moniales et beaucoup d’autres épouses de Jésus qui se paraient de bijoux et se faisaient toutes belles. Mais je n’en prenais pas et ne me parais point, je restais à me reposer très suavement dans l’époux, et, me retournant vers Jésus, lui disais : « Oh ! Mon Jésus, mon Amour, pourquoi ne prendrais-je pas de ces joyaux pour m’en parer, de même que tes autres épouses ? » J’entendis alors qu’il m’était répondu intérieurement : « Sais-tu pourquoi ? Parce que tu n’en es pas encore capable ».
Ensuite, je recommandai toutes les créatures à Jésus et une en particulier pour qui je n’eus pas grand espoir, ce dont j’éprouvai quelque douleur et amertume.
Les Quarante jours d’extases, 3
Commentaires
"je considérais les trois facultés de l’âme"
Mais qu'est-ce qu'une âme par rapport à l'esprit ?