« Quiconque boira de cette eau aura encore soif: au lieu que celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif » : cette femme avait déjà entendu parler d'une eau vive, mais elle n'avait pas compris quelle était cette eau : comme on appelle eau vive celle qui coule continuellement de source et ne tarit jamais, elle croyait que c'était celle-là qu'il fallait entendre. C'est pourquoi Jésus-Christ, dans la suite, lui fait plus clairement connaître l'eau dont il s'agit, et lui en montrant l'excellence par la comparaison qu'il en fait avec l'autre, il continue ainsi : « Celui qui boit de l'eau que je lui donnerai , n'aura jamais soif », lui montrant par là son excellence, et encore par ce qui suit : en effet, l'eau matérielle n'a aucune des qualités qu'il attribue à la sienne. Qu'est-ce donc qui vient ensuite? « L'eau que je donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle. » Car de même que l'homme qui a chez lui une fontaine, n'aura jamais soif, il en est de même de celui qui aura cette eau.
Cette femme crut aussitôt, en quoi elle se montra beaucoup plus sage que Nicodème, et non seulement plus sage, mais aussi plus forte. Nicodème, en effet, ayant ouï une foule de semblables choses, ne fut appeler ni inviter personne, il ne crut même pas et n'eut point confiance : la Samaritaine, au contraire, annonçant à tout le monde ce qu'elle a appris, fait la fonction d'apôtre. Nicodème, à ce qu'a dit Jésus-Christ, réplique : « Comment cela se peut-il faire? » (Jean. III, 9.) Et Jésus ayant apporté un exemple clair et sensible, l'exemple du vent, il ne crut pas encore. Mais la Samaritaine se conduit bien autrement: elle doutait au commencement; ensuite, sur un simple énoncé sans preuves, elle se rend et croit aussitôt. Car après que Jésus eut dit: « L'eau que je lui donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle », elle réplique sur-le-champ : « Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici pour en tirer. »
Ne voyez-vous pas, mes frères, comment insensiblement Jésus-Christ l'élève à la plus haute doctrine et à la perfection de la foi? D'abord elle le regardait comme un juif schismatique et violateur de la loi ; ensuite, lorsque Jésus eut éloigné cette accusation (car il ne convenait pas que celui qui devait l'instruire fût suspect), ayant entendu parler d'une eau vive, elle pensa que c'était de l'eau naturelle et sensible qu'il parlait ; comprenant enfin que l'eau qu'il promettait était spirituelle, elle crut que ce breuvage avait la vertu de désaltérer, et toutefois elle ne savait pas ce que c'était que cette eau ; mais elle doutait encore : comprenant déjà qu'il s'agissait d'une chose dépassant la portée des sens, mais n'en ayant pas encore une entière connaissance. Enfin elle voit plus clair, et néanmoins elle ne comprend pas tout, puisqu'elle dit : « Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus en tirer. » Ainsi déjà elle préférait Jésus à Jacob. Non, je n'ai pas besoin de cette fontaine, disait-elle en elle-même, si vous me donnez l'eau que vous me faites espérer : en quoi vous voyez bien qu'elle le préfère au patriarche. Voilà la marque d'un bon esprit. Elle a fait paraître qu'elle avait une grande opinion de Jacob : elle vit un homme plus grand que Jacob, son premier sentiment ne fut pas capable de l'arrêter. Cette femme ne crut donc pas facilement, et elle ne reçut pas inconsidérément ce qu'on lui disait, puisqu'elle chercha avec tant de soin à s'éclaircir et à découvrir la vérité, mais aussi elle ne fut ni indocile, ni opiniâtre : sa demande le fait bien voir.
(…)
Et à propos de quoi, demandez-vous, Jésus-Christ lui dit-il : « Appelez votre mari ? » Il s'agissait d'une grâce et d'un don qui surpasse la nature humaine : cette femme le lui demandait avec instance. Jésus a dit : « Appelez votre mari », pour lui faire entendre que son mari y devait aussi participer. Elle cache son déshonneur par le désir qu'elle a de recevoir ce don, et croyant parler à un homme, elle répond : « Je n'ai point de mari. » La voilà l'occasion, elle est belle, Jésus-Christ la saisit et lui parle, sur les deux points, avec une grande précision : car il énumère tous les maris qu'elle a eus auparavant, et déclare celui qu'elle cachait. Que fit-elle donc ? Elle ne s'en offensa point, elle ne s'éloigna point pour aller se cacher, elle ne prit pas le reproche en mauvaise part, au contraire elle en fut dans une plus grande admiration, et n'en devint que plus ferme et plus persévérante; elle dit : « Je vois bien que vous êtes un prophète. » Au reste, faites attention à sa prudence : elle ne court pas aussitôt à la ville, mais elle s'arrête encore à réfléchir sur ce qu'elle vient d'entendre, et elle en est toute surprise. Car ce mot : « Je vois », veut dire Vous me paraissez un prophète. Puis, une fois qu'elle a conçu ce soupçon, elle ne propose à Jésus-Christ aucune question sur les choses terrestres, ni sur la santé du corps, ni sur les biens de ce monde, ni sur les richesse,; mais promptement elle l'interroge sur la doctrine, sur la religion. Et que dit-elle ? « Nos pères ont adoré sur cette montagne », parlant d'Abraham, parce que les Samaritains disaient qu'il y avait amené son fils. « Et vous autres, comment pouvez-vous dire que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer ? »
Ne voyez-vous pas, mes frères, combien l'esprit de cette femme s'est élevé ? Auparavant elle ne pensait qu'à apaiser sa soif, elle ne pense plus maintenant qu'à s'instruire. Que fait donc Jésus-Christ ? Il ne résout pas la question proposée ; car il ne s'attachait pas à répondre exactement à tout, c'eût été une chose inutile. Mais il élève toujours de plus en plus son esprit, et il ne commence à entrer en matière qu'après qu'elle l'a reconnu pour prophète, afin qu'elle ajoute plus de foi à ses paroles. En effet, regardant Jésus-Christ comme un prophète, elle ne doutera point de ce qu'il lui dira.