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Saint Grégoire le Thaumaturge

Extrait de son "Remerciement à Origène" (éd. Sources chrétiennes).

Celui-ci [Origène] nous accueillit dès le premier jour, car ce fut vraiment pour moi le premier jour, le plus précieux de tous, s’il faut ainsi parler, celui où la première fois le vrai soleil commença à se lever devant moi. Au début cependant, pareils aux bêtes sauvages, aux poissons ou aux oiseaux qui sont tombés dans des filets ou des seines et qui s‘efforcent de s’échapper et de se sauver, nous voulions nous éloigner de lui pour gagner Beyrouth ou notre patrie. Mais il mit tout en œuvre pour nous attacher à lui : il déroulait des discours de toute sorte, il larguait, comme dit le proverbe, toutes les voiles, il y employait toutes ses forces.

Il accordait à la philosophie et à ses amants les grands et nombreux éloges qui leur sont dus, disant que seuls mènent vraiment la vie qui convient à des êtres doués de raison ceux qui s’appliquent à bien vivre, connaissant tout d'abord ce qu’ils sont eux-mêmes, connaissant ensuite les vrais biens que l‘homme doit poursuivre et les vrais maux qu'il doit éviter. Il blâmait l’ignorance et tous les ignorants : or, nombreux sont ceux qui, à la manière des animaux, l’esprit aveugle, ne sachant même pas exactement ce qu’ils sont, errant comme des êtres privés de raison, bref, sans savoir eux-mêmes ce que peuvent être le bien et le mal et sans vouloir l’apprendre, s’élancent et s’envolent, comme s'il s’agissait du bien, vers la richesse, vers la renommée, vers les honneurs que donne la foule, vers le bien-être du corps. Ils font grand cas de ces faux biens, et c’est même pour eux la valeur unique, ainsi que les métiers qui peuvent les procurer et les genres de vie qui les leur donneront, vie militaire, métier d’avocat, étude des lois. Avec de tels propos il nous secouait, disant surtout, de façon très habile, que nous négligions la raison, faculté dominante de notre être intérieur.

Je ne puis maintenant dire combien de paroles de ce genre il nous fit entendre, en nous exhortant à philosopher, et cela, non pas seulement un jour, mais plusieurs, les premières fois que nous allions auprès de lui. Nous avions été frappés comme d’un trait, dès le premier jour, par sa parole, car il y avait en elle un mélange de grâce et de douceur, de persuasion et de contrainte, mais nous nous détournions encore et nous réfléchissions, sans nous décider tout à fait à nous attacher fortement à la philosophie ; et cependant nous ne pouvions, je ne sais pourquoi, nous en aller, attirés sans cesse vers lui par ses paroles comme par de fortes contraintes. Il déclarait en effet qu'il est impossible de pratiquer une parfaite piété envers le Maître de toutes choses - ce sentiment que, seul, parmi tous les êtres qui vivent sur la terre, l‘homme eut l’honneur et la dignité d‘avoir, et naturellement tout homme, sage ou ignorant, le possède, s‘il n’a pas tout à fait perdu le bon sens par suite de quelque folie -, il proclamait, dis-je, avec raison, qu’il est impossible de pratiquer une parfaite piété sans philosopher : et cela jusqu’à ce que, ayant accumulé les uns sur les autres quantité de discours de ce genre, il nous eût enfin immobilisés par ses procédés sans artifice, comme des gens ensorcelés, et qu’il nous eût fixés auprès de lui par ses paroles, je ne sais comment, avec une sorte de force divine.

Et voici qu'il nous frappa de l’aiguillon de l’amitié, - difficile à repousser, acéré, pénétrant -, l’aiguillon de son affabilité et de ses bonnes dispositions, toute la bienveillance qui apparaissait dans ses paroles elles-mêmes, quand il se trouvait avec nous et s’adressait à nous. Il n'essayait pas de nous circonvenir par ses discours ou autrement, mais de nous sauver avec une intention aimable, charitable et très bonne et de nous faire communier aux biens que donne la philosophie, surtout à tous les autres biens que la Divinité lui accorda à lui seul plus qu’à la plupart des hommes, et peut-être plus qu’à tous les hommes d'aujourd'hui : je veux dire au Maître de piété, au Verbe salutaire, qui visite beaucoup d‘hommes et mène à la perfection ceux chez qui il se rencontre. Il n’est personne qui puisse lui résister, car il est et il sera Roi de toutes choses : mais il est caché, et, avec ou sans peine, la plupart ne peuvent le connaître, au point d’avoir quelque chose de clair à dire de lui quand on les interroge. Telle une étincelle lancée au milieu de nos âmes, voici que s’allumait et s'embrasait en nous l’amour du Verbe sacré, tout aimable, qui par son ineffable beauté attire à lui tous les hommes, et l’amour de cet homme, son ami et son interprète.

Profondément blessé par cet amour, je me laissai persuader de négliger toutes les affaires et études qui semblaient nous convenir, entre autres mes belles lois elles-mêmes, ma patrie et mes parents, ceux d’ici, pour qui nous étions partis. Une seule chose m‘était chère et aimée, la philosophie et son guide, cet homme divin.

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