Maître Bruno, de nationalité allemande, naquit de parents nobles, dans l'illustre ville de Cologne. Très érudit dans les lettres aussi bien séculières que divines, il fut chanoine de l'Église de Reims dont l'importance ne le cède à nulle autre parmi les églises de Gaule ; puis il y fut maître de l'enseignement. Ayant quitté le monde, il fonda l'ermitage de Chartreuse et le gouverna pendant six ans. Sur l'ordre du pape Urbain II, dont il avait été jadis le précepteur, il se rendit à la curie romaine, pour aider le Pontife de son soutien et de ses conseils dans les affaires ecclésiastiques. Mais il ne pouvait supporter les tumultes et le genre de vie de la curie ; brûlant de l'amour de la solitude naguère abandonnée et du repos contemplatif, il quitta la curie, après avoir même refusé l'archevêché de l'Église de Reggio auquel il avait été élu par la volonté du pape. Il se retira dans un désert de Calabre dont le nom est La Tour. Puis là, après avoir réuni de nombreux laïcs et clercs, il s'appliqua tant qu'il vécut à la vocation de la vie solitaire. Il y mourut et y fut enseveli, onze années environ après son départ de Chartreuse.
Chronique Magister (notices sur les cinq premiers prieurs de Chartreuse, début du XIIe siècle)
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À la louange de la gloire de Dieu, le Christ, Verbe du Père, depuis toujours a choisi par l'Esprit Saint des hommes pour les mener en solitude et se les unir dans un amour intime. Répondant à cet appel, maître Bruno, l'an du Seigneur 1084, entra avec six compagnons au désert de Chartreuse et s'y établit. Là, ces hommes et leurs successeurs, demeurant à l'école du Saint Esprit, et se laissant former par l'expérience, élaborèrent un style propre de vie érémitique, transmis aux générations suivantes, non par l'écrit, mais par l'exemple.
D'autres ermitages se fondèrent à l'imitation de celui de Chartreuse, et sur leurs instances répétées, Guigues, cinquième prieur de Chartreuse, rédigea une description de ce mode de vie ; tous l'accueillirent et décidèrent de s'y conformer, pour qu'elle fût la loi de leur observance et le lien de charité de leur famille naissante. Longtemps, les prieurs d'observance cartusienne insistèrent auprès du prieur et des frères de Chartreuse pour qu'on leur permît de tenir dans cette maison un commun Chapitre ; enfin, sous le priorat d'Anthelme, se réunit le premier Chapitre Général, à qui toutes les maisons, y compris celle de Chartreuse, remirent pour toujours leurs destinées. Vers la même époque, les moniales de Prébayon en Provence décidèrent d'embrasser la règle de vie des chartreux. Telle fut l'origine de notre Ordre.
Statuts de l’ordre des Chartreux, Prologue, 1.
Commentaires
Profession de foi de Maître Bruno, prononcée devant tous ses frères réunis, quand il sentit approcher, pour lui, l'heure d'entrer dans la voie de toute chair ; car il leurs avait demandé de façon très pressante d'être les témoins de sa foi devant Dieu.
TEXTE MÊME DE LA PROFESSION
- Je crois fermement au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : le Père non engendré, le Fils seul engendré, le Saint-Esprit procédant de l'un et de l'autre ; et je crois que ces trois Personnes sont un seul Dieu.
- Je crois que ce même Fils de Dieu a été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie.
- Je crois que la Vierge était très chaste avant l'enfantement, qu'elle est demeurée vierge dans l'enfantement et l´est restée éternellement par la suite.
- Je crois que ce même Fils de Dieu a été conçu parmi les hommes comme un homme véritable, sans péché.
- Je crois que ce même Fils de Dieu a été victime de la haine des Juifs 3, et qu´après avoir été injustement fait prisonnier, íl a été couvert de crachats et d´insultes et flagellé ; qu'il est mort, a été enseveli et qu'il est descendu aux enfers pour en libérer les siens qui s'y trouvaient captifs; qu'il est descendu (des Cieux) pour notre rédemption, est ressuscité et est remonté aux Cieux d'où il viendra juger les vivants et les morts.
Je crois aux Sacrements en lesquels croit l'Église catholique et qu´elle vénère ; je crois particulièrement que ce qui est consacré sur l'autel est le vrai Corps, la vraie Chair et le vrai Sang de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous recevons pour la rémission de nos péchés, dans l´espérance du salut éternel.
- Je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Amen.
- Je confesse et je crois en la sainte et ineffable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, qui est un seul Dieu par nature, d'une seule substance, d'une seule nature, d'une seule majesté et puissance.
Nous professons que le Père n'a été ni engendré ni créé, mais qu'il est inengendré. Le Père lui-même ne tire son origine de personne.
De Lui, le Fils reçoit la naissance et le Saint-Esprit la procession.
Il est donc la source et l´origine de toute la Divinité.
Et le Père, ineffable par essence, a, de sa substance, engendré le Fils ineffablement ; sans engendrer autre chose que ce qu'il est lui-même : Dieu a engendré Dieu, la Lumière a engendré la Lumière.
C'est donc de Lui que découle toute Paternité, au Ciel et sur la terre.
Amen.
Maître Bruno, au soir de sa vie, eut le désir de témoigner devant les siens qu´il avait combattu jusqu´au bout le bon combat, qu´il avait achevé sa course gardant la foi (cf. 2 Tm 4, 7).
Dans le texte précédent, ses compagnons de l´ermitage Santa Maria de la Torre de Calabre en Italie, nous transmettent la profession de foi solennelle qu´il fit avant sa mort, survenue le 6 octobre 1101.
Dans cette magnifique proclamation de foi de Saint Bruno, nous aimerions mettre en évidence plus particulièrement deux points. En premier lieu, la saine doctrine que Maître Bruno eut à professer au cours de ses longues années d´enseignement à l´École cathédrale de Reims; ensuite, l´intériorisation de ce même enseignement qui, au moment où Bruno quittait ce monde, battait en son cœur comme la Lumière qui l´avait illuminé toute sa vie et pour laquelle il avait fidèlement lutté.
Quant à la profession trinitaire du quatrième paragraphe, Bruno reprend la splendide profession de Foi du XIe Concile de Tolède, si ce n´est qu´il parle à la première personne.
Dans le texte original, on peut lire : "perfidis Judæis". Des expressions comme celle-ci se comprennent si l´on a à l´esprit des textes importants comme la très ancienne prière universelle du Vendredi Saint. En outre, on doit tenir compte de la manière de parler de l´époque. C´est pour cela que nous avons opté pour cette traduction, de la même manière que l´Église, aujourd´hui, a sur ce point renouvelé l´ancienne prière universelle dont nous venons de parler .
Je ne saurais vous conseiller de vous procurer le magnifique ouvrage de Nathalie NABERT "prières cachées des Chartreux". Ouvrage exceptionnel qui rassemble les prières écrites par les pères Chartreux des temps anciens. EXCEPTIONNEL de profondeur et d'intériorisation.
Maître Bruno, avec St Benoit est notre guide vers la voie de perfection (et il y a du travail) .......