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L’opinion de Tim Martin

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L’entreprise Wetherspoon, l’une des principales chaînes de pubs britanniques (qui a obtenu pour la 13e année consécutive le prix de la meilleure entreprise pour ses 35.000 salariés), a publié hier un communiqué de presse sur ses (bons) résultats préliminaires de 2016. A priori rien d’intéressant pour quiconque n’est pas lié à cette entreprise. Mais ce qui est insolite, c’est le commentaire qu’en fait le patron, Tim Martin. Car l’essentiel de son texte, et donc du communiqué, est consacré au… Brexit.

Certes, on sait que Tim Martin fut l’un des très rares grands patrons britanniques à se prononcer pour le Brexit, et cela jusque sous les chopes de bière dans ses pubs Wetherspoon, avec des sous-bocks incitant fortement à voter pour le départ de l’UE. On ne s’attendait pas toutefois à le voir évoquer ce sujet, et ce seul sujet, à l’occasion d’un banal communiqué sur des résultats provisoires. Mais Tim Martin ne parle pas pour ne rien dire. Voici une traduction de son propos, qui illustre le pragmatisme britannique face à l’idéologie européiste.

Lors de la campagne du référendum, et après, l’écrasante majorité des entreprises du TFSE 100 [les 100 entreprises les plus cotées], l’organisation des employeurs CBI [leur Medef], le FMI, l’OCDE, le Trésor, les dirigeants de tous les partis politiques, et presque tous les représentants des universités britanniques prévoyaient des problèmes pour l’économie, souvent en des termes horrifiques, en cas de vote pour la sortie de l’UE. Par exemple, David Cameron et George Osborne prétendaient que le revenu des foyers serait réduit de 4.000£ par an, que les taux hypothécaires augmenteraient et que le prix des maisons chuterait – ce que soutenait dans les mêmes termes Mark Carney de la Banque d’Angleterre.

Des voix de la City comme PwC et Goldman Sachs, et la grande majorité des banques et autres institutions appuyaient de tout leur poids cette vision négative. Par exemple, Paul Johnson de l’Institut des études fiscales a déclaré (Times du 28 juin) qu’il y avait une quasi unanimité des économistes favorable à ce que le Royaume Uni reste dans l’UE. De façon plutôt étonnante il ajoutait : « Je considère comme étant établi que nous, les économistes, avions collectivement raison à propos des (mauvaises) conséquences économiques d’un retrait de l’UE. » Johnson cite ensuite ce consensus comme une preuve de la raison économique d’un maintien dans l’UE. C’est un argument étrange, dans la mesure où les prévisions du consensus des économistes, qui ont généralement manqué de prévoir la dernière récession ou les défauts catastrophiques de l’euro, sont presque toujours délirantes. Comme l’a dit Warren Buffet, les prévisions disent beaucoup sur le prévisionniste, mais pas sur l’avenir. Les prévisions économiques émanant de pontes trop sûrs d’eux-mêmes comme M. Johnson sont une composante importante de Mr Market de Benjamin Graham, le parieur mythique qui a tout faux.

De même que le poids intellectuel combiné de ces merveilleux spécialistes n’a pas pu discerner les failles de l’euro, de même ils n’ont pas été – sauf honorables exceptions – en mesure de constater que le défaut de principe de l’UE – l’absence de démocratie – conduira certainement à une aggravation du chaos économique et politique, et à des conséquences plus graves pour ceux qui sont soumis aux décisions de l’UE. La preuve économique écrasante est que les pays qui réussissent sont des démocraties – M. Johnson et les économistes qui partagent ses idées doivent fourrer cela dans leur pipe et le fumer. Malgré leurs défauts, les démocraties produisent le plus haut niveau de prospérité et de liberté. Comme dans le cas de l’euro, le grand public a une bien meilleure perception de ce facteur primordial que le consensus de l’opinion intellectuelle.

Maintenant que les sombres prévisions économiques pour le lendemain du référendum se sont révélées fausses, L’Histoire à faire peur II est que l’absence d’entente sur un accord commercial avec l’UE aura des conséquences dévastatrices. Cela a été exprimé par le gestionnaire de fonds Nicola Horlick cette semaine, qui a dit aux auditeurs de Radio 4 que l’abandon du marché unique conduirait à reléguer le Royaume Uni de la 5e place des plus grandes économies du monde à la 8e ou 9e. A contrario, l’expérience de Wetherspoon indique qu’obtenir des accords commerciaux formels avec des partenaires peu disposés est impossible, et qu’il est imprudent de tenter de le faire.

Par exemple, j’avais personnellement agréé les termes d’un accord avec l’un de nos plus gros fournisseurs, pour un nouveau contrat de sept ans, il y a environ 12 ans. Bien que l’accord ait été mis entre les mains des avocats, il n’a jamais été signé ou ratifié au cours de cette période, bien que nous ayons continué de faire affaire avec lui pendant ce temps de façon satisfaisante. En conséquence nous avons agréé les termes d’un nouveau contrat de sept ans… qui n’est toujours pas signé à ce jour. En fait, cela fait 37 ans que nous commerçons avec cette entreprise, sans interruption. Par contraste, des accords avec certains fournisseurs se sont rapidement concrétisés dans des contrats formels. Au fil du temps, nous avons agréé des milliers d’accords commerciaux avec des grands et petits fournisseurs : certains sont des contrats formels, d’autre sont conclus par une poigné de mains, certains sont à court terme, mais beaucoup durent des décennies. La réalité commerciale est que vous pouvez conduire le cheval à l’abreuvoir mais que vous ne pouvez pas le forcer à boire.

Cela est particulièrement vrai de l’UE – une organisation d’une complexité byzantine, dirigée par des présidents non élus, avec la contribution de nombreuses autres parties d’une hydre à nombreuses têtes. Elle s’est démenée pour obtenir des accords commerciaux avec la plupart des plus grandes économies du monde, par exemple les Etats-Unis, la Chine et l’Inde. Le Royaume Uni est un énorme partenaire commercial des Etats-Unis, avec généralement un excédent substantiel pour nous, en dépit de l’absence d’un « accord », et il serait malavisé de réclamer un accord formel spécifique qui remplace les arrangements existants dans ces circonstances – la fin de la queue est la bonne place. L’ancien chancelier Nigel Lawson (Financial Times des 3-4 septembre) et beaucoup d’autres préconisent de quitter l’UE et de commercer avec elle ensuite sur la base des règles de l’Organisation mondiale du commerce. Si l’UE souhaite un accord commercial, nous devons coopérer, mais des apparatchiks non élus comme le président Juncker sont incontrôlables – ce qui est une des raisons principales de notre vote pour quitter l’UE.

Le bon sens suggère que la pire approche pour le Royaume Uni serait d’insister sur la nécessité d’un « accord » - nous n’en avons pas besoin, et le fait que les pays de l’UE nous vendent deux fois plus que nous ne leur vendons crée une position extrêmement puissante pour la négociation. Si on applique les tarifs de l’OMC, le Royaume Uni recevra deux fois plus que ce qu’il paie. Boris Johnson, David Davis et Liam Fox feront beaucoup plus pour le Royaume Uni s’ils copient Francis Drake et jouent aux boules à Plymouth*, plutôt que rêver d’un accord avec l’UE, alors que le temps consacré à l’amélioration des arrangements avec Singapour, la Nouvelle-Zélande et l’Inde, par exemple, peut être bien dépensé.

* On dit que Francis Drake trouvait plus important de terminer une partie de boules à Plymouth que d’aller empêcher illico « l’invincible armada » de débarquer en Angleterre. Il termina tranquillement sa partie, et alla vaincre les Espagnols…

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