Il nous faut remarquer que, par une disposition de la providence divine, il est arrivé que la lettre T, dont la forme nous offre une image de la croix, s'est trouvée la première du canon de la messe. Dans plusieurs sacramentaires on a tracé l'image même de Jésus crucifié, afin que non seulement l'intelligence de cette lettre, mais la vue de la chose figurée rappelât à notre mémoire la Passion du Seigneur. La lettre T nous indique le mystère de la croix, et c'est pour cela que Dieu a dit par son Prophète : « Marquez un thau sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui se font au milieu de Jérusalem » afin qu'ils ne soient pas frappés par l'Ange. Conservons donc dévotement ce signe qui a été imprimé sur nos fronts dans la confirmation par l'onction de la Passion du Seigneur. C'est encore afin que ce souvenir nous fût toujours présent qu'il a été défendu, par les saints Pères, à tout prêtre de célébrer la messe sur un autel où il n'y aurait pas de crucifix. Que le prêtre, en le contemplant et en voyant ses bras étendus afin de supplier pour les péchés du peuple, ne rougisse donc pas d'étendre aussi ses bras vers lui en forme de croix, car l'Apôtre a dit : « Loin de moi de me glorifier ailleurs que dans la croix de Jésus-Christ Notre Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi crucifié pour le monde. »
Mais, puisque nous avons parlé de la croix sainte et des figures qui la représentent, qu'il nous soit permis de dire quelque chose des sens cachés qu'elle renferme.
La croix est l'étendard du commandement placé sur l'épaule du Sauveur. O signe inestimable et vraiment abondant en mystères ! La croix est l'arbre de vie planté au milieu du Paradis, et d'où s'échappent les quatre fleuves des Evangiles ; c'est la charité, ou autrement la mesure qui a perfectionné l'arche du salut, c'est-à-dire l'Eglise. C'est l'autel sur lequel Abraham a immolé Isaac, sur lequel le Père céleste a sacrifié Jésus-Christ Notre Seigneur. C'est le bois jeté dans Mara, le bois mêlé à l'amertume du monde et qui a rendu douces les eaux de la loi ; car nous avons appris, par la croix, à aimer nos ennemis, ce que le Testament ancien n'enseignait point, puisqu'il disait : « Vous aurez de la haine pour votre ennemi, vous exigerez œil pour œil, dent pour dent. » La croix est la verge avec laquelle la pierre fut frappée, et cette pierre, c'est Jésus-Christ. Sous ses coups, des fleuves immenses de sang et d'eau ont jailli, et nos âmes y ont trouvé la vie et l'innocence. C'est le poteau où fut attaché le serpent d'airain, où Jésus-Christ fut suspendu ; et tous ceux qui jettent dessus un regard fidèle sont guéris des morsures enflammées du serpent infernal. C'est la cithare touchée par le vrai David, par Jésus-Christ, alors qu'il s'y tenait expirant et dont les accords éloignaient du genre humain, image de Saül, les attaques de l'esprit diabolique. La croix est ces deux morceaux de bois recueillis par la veuve de Sarepta, ou autrement l'Eglise, afin de cuire du pain pour elle et son fils, car c'est sur la croix que Jésus-Christ est devenu un pain véritable. Elle est ce bois d'Elisée, qui a fait surnager le fer des profondeurs de l'eau, car nous avons été par elle arrachés aux abîmes de la mort, et c'est à Elisée devenu chauve, à Jésus-Christ dépouillé de ses vêtements sur la croix et percé de clous au Calvaire, que nous devons ce bonheur. La croix est ce bois dont les Juifs ont dit dans Jérémie : « Venez, mélangeons du bois à son pain » ; c'est-à-dire : faisons mourir le Christ sur la croix. Elle est le palmier sur lequel Jésus est monté et dont il a cueilli le fruit, la rédemption du genre humain. Elle est la clé de David, qui a ouvert la porte du ciel et nous y a introduits.
Saint Bonaventure, extrait de l’Explication des cérémonies de la Sainte Messe