Sacraménti tui, Dómine, divína libátio, penetrália nostri cordis infúndat : et sui nos partícipes poténter effíciat. Per Dóminum…
Que la divine libation de votre sacrement, Seigneur, arrose les lieux les plus secrets de notre cœur, et qu’elle nous rende puissamment participants d’elle-même.
Telle est la postcommunion de la messe de ce jour. Elle est particulièrement remarquable par son parfum d’antiquité et son symbolisme.
Elle parle de libation, et renvoie ainsi à un rite répandu dans toutes les religions anciennes : l’offrande liquide à un dieu, l’huile ou le vin qu’on offre en sacrifice en le versant sur une stèle, sur un poteau, sur une idole, sur l'animal sacrifié. Mais ici la perspective est renversée. C’est Dieu qui verse la libation. Parce qu’il a agréé nos offrandes, le pain et le vin, qu’il les a divinisées en en faisant le corps et le sang de son Fils, et il nous les rend ainsi divinisées pour nous diviniser. C’est donc lui qui nous honore, qui nous sert, qui se ceint pour nous verser la divine libation, la seule efficace après tant de libations humaines qui n’étaient que des signes.
Et cette libation, il la verse dans notre cœur. De son cœur percé sur la croix, d’où vient la libation d’eau et de sang, pro vobis effundetur, dans notre cœur. Penetralia. Jusqu’au fin fond de notre cœur, les endroits les plus retirés, les plus cachés, les plus secrets. La divine libation, parce qu’elle est liquide, se faufile partout, inonde tout. Il ne reste rien qu’elle n’atteigne pas, elle imprègne tout, elle vivifie tout.
C’est ce qu’exprime la fin de l’oraison : en imprégnant tout notre cœur, elle nous rend puissamment, de la puissance du Saint-Esprit, participants d’elle-même, à savoir de la libation divine, du sang divin qui coule du cœur de Dieu, participants de la réalité divine du sacrement, participants de la filiation divine.
(NB. Dans le bouleversement et le saccage du si vénérable sacramentaire grégorien auquel ont osé se livrer les fabricants de la néo-liturgie, cette oraison a été conservée, et même laissée à sa place. Du moins au début. Puis on en a fait l’oratio super populum, ressuscitée en 2002, mais facultative… Et il a fallu la défigurer : on a remplacé libatio par perceptio. Or il suffit de changer ce mot pour en détruire le symbolisme… Et d’abord pour la rendre absurde : on n’a jamais vu une perception arroser quoi que ce soit, se verser ou se répandre sur quoi que ce soit. Il est vrai que ça ne concerne à peu près personne : quand on cherche cette néo-oraison sur Google, on la trouve citée sur 4 sites, dont un qui ne fonctionne pas, et un qui la critique...)
Commentaires
Vous avez répondu d'avance à la question que je me posais : cette oraison a-t-elle été conservée? Ce que vous décrivez est très courant : j'ai eu l'occasion de comparer un grand nombre d'oraison des deux missels : très souvent, de l'antique version on a retranché un ou deux mots (histoire de dire qu'on a vraiment mis partout sa sale patte), ajouté un bout de phrase.
Cette oratio super populum est d'autant plus négligée qu'elle figure dans bien peu de missels dont on se sert dans les paroisses, puisqu'elle date de 2002. Il faudrait vérifier(peut-être un lecteur prêtre a l'info) si elle figure dans les éditions en français postérieures à 2002.
merci pour votre beau commentaire. Souvent les missels de fidèles n'osent pas traduire le "sui" : car cette libation, c'est Dieu lui-même. Cela me fait penser à unpassage de Joël que j'aime beaucoup, chap 2 vv 13-14 (le mot est "libamen", mais c'est un synonyme).
Vous avez d'autant plus raison que c'est au milieu d'un passage qui se retrouve tous les jours en petits bouts dans la liturgie du carême (mais pas ce verset-là..). Merci.
Il y a une question que je voulais vous poser à propos de l’Épître du jour à la fin de laquelle il est indiqué à Esaü qu'il recevrait lui aussi la rosée du ciel et la graisse de la terre ; mon Dom Gaspar Lefebvre (mais la traduction est d'Osty) indique que le texte hébreu dit exactement l'inverse, ce qui, il est vrai, parait tout de même plus vraisemblable. Fillion dit lui aussi que cette traduction est abandonnée, même s'il traduit scrupuleusement la Vulgate. Que pensez-vous de ce problème ?
Et il y a des bibles de rabbins qui traduisent comme la Vulgate, et la bible Darby aussi... vaste question. Et si vous allez jeter un coup d'oeil à Hébreux 11.20 et 12.17, ça ne va pas améliorer le casse-tête... bonne journée!
C’est une invention moderne parmi tant d’autres. Jusqu’en 1890 toutes les traductions françaises étaient d’accord avec la Vulgate, qui était d’accord avec la Septante.
Et les traductions juives sont toujours conformes à la tradition :
Samuel Cahen:
Son père Iits’hac répondit et lui dit: ta demeure sera dans un pays gras, sur lequel descendra la rosée du ciel.
Bible officielle du Rabbinat français:
Pour réponse, Isaac son père lui dit: “Eh bien! Une grasse contrée sera ton domaine, et les cieux t’enverront leur rosée.
Chouraqui:
Is’hac, son père, répond et lui dit: « Voici: ton habitat sera aux huiles de la terre, à la rosée des ciels, au-dessus.
L’inversion du sens de la phrase vient de la valeur que l’on donne à la préposition "min", qui a de nombreuses significations. Dans la bénédiction de Jacob, il lui est promis, à lui déjà, la graisse de la terre, et le mot est précédé de "min". Sens partitif : Que Dieu te donne "de" la rosée du ciel et "de" la graisse de la terre. Pour Esaü, on a le même texte. Mais les modernes ont décidé que Isaac ne pouvait pas donner de bénédiction, encore moins la même, et donc que, ici, "min" veut dire à l’exclusion de, hors de.
Je ne vois en quoi la traduction moderne serait plus vraisemblable. La bénédiction d’Isaac fait de Jacob un grand chef, et d'Esaü un simple paysan. Ce qui me paraît invraisemblable est qu'un même texte prononcé par une même personne soit, la seconde fois, la négation de la première.
J'ajoute que si la traduction officielle des rabbins est telle, c'est qu'elle correspond aux midrashim qui ont commenté le texte. Ce qui veut dire que le texte a TOUJOURS été compris ainsi par les juifs (comme en témoigne la Septante, d'ailleurs).
On voit ici une fois de plus l'outrecuidance des experts modernes qui connaissent mieux l'hébreu que les Hébreux, comme ils connaissent mieux le grec que les Grecs et le latin que les Romains...
Bonjour,
Je me permets une correction : l'oraison en question a bien été conservée (avec la malheureuse modification que vous signalez) en tant que postcommunion (et non comme Super Populum) dans le MR2002.
Je veux bien vous croire, mais Father Z en parle explicitement comme d'une oratio super populum depuis 2002 et j'ai vu ceci sur un autre site:
ORATIO SUPER POPULUM (2002MR): Sacramenti tui, Domine, divina perceptio penetralia nostri cordis infundat,et sui nos participes potenter ...
J'ai tenté d'en savoir plus, mais rien sur Google. Donc j'ai fini par faire confiance à Father Z.
C'est une vraie pétaudière, cette néo-liturgie.
Je viens de vérifier dans mon Dom Lefebvre, et sa traduction, qui gomme entièrement libatio/infundat, pourrait à peu de chose près s'appliquer à la nouvelle rédaction du MR2002 :
"Que le don divine de votre sacrement, Seigneur, pénètre au plus profond de notre coeur (...)".
La traduction du missel du Barroux est par contre précise.
Il faut avouer que le "libatio" originel est puissamment poétique, même si le terme en lui-même est assez technique et peu compréhensible pour le commun des fidèles. D'où la traduction de Dom Lefebvre et, pour finir, son remplacement dans le dernier... C'est plus "pastoral", sans doute, mais au prix d'un véritable appauvrissement...