Dans mon diocèse c’est la fête de saint Vincent Ferrier, qui passa en Bretagne les deux (et demie) dernières années de sa vie, à la demande instante et réitérée du duc Jean V qui avait dépêché des envoyés pour l’en supplier à Nancy, à Bourges, et à Tours – puisque le saint était toujours en mouvement.
Il arriva à Vannes pour le quatrième dimanche de carême. « Il chanta la Messe & Prescha, non pas en la grande Eglise, parce qu'elle ne pouvoit pas comprendre la multitude du Peuple qui l'estoit venu oüir; mais sur un eschaffaut dressé en la place des Lices, devant le Château de l'Hermine, duquel les fenêtres, créneaux, tours & guerittes estoient remplis de Peuple, aussi-bien que les places & rues circonvoisines. Il continua à Prescher & dire Messe tous les jours en ce lieu jusqu'au Mardy de Pasques, qu'il prit congé du Duc, de l'Evesque & des Habitans de Vennes & se disposa d'aller prescher par les autres Villes & Paroisses de la Bretagne. » (Albert Le Grand). Il prêcha ainsi dans un grand nombre de villes et de bourgs. Pour Morlaix, Albert le Grand écrit : « Il demeura quinze jours en cette Ville & alloit ordinairement prescher au haut de la rue des Fontaines, lieu élevé par dessus la Ville, & le Peuple, pour l'ouïr, se rangeoit sur les douves et contre-escarpe du Château & au Parc au Duc, la Ville entre deux ; nonobstant laquelle distance, sa voix estant si miraculeusement portée aux oreilles de ses Auditeurs, lesquels l'entendoient aussi-bien que s'ils eussent esté assis au pied de sa Chaire. » En bref, Morlaix est au fond d’une vallée encaissée ; saint Vincent prêchait du haut de la vallée, et ses auditeurs étaient de l’autre côté, à une grande distance. Ce miracle, particulièrement spectaculaire à Morlaix (d’autant que le saint était alors très malade et faible), a été souvent constaté, il doublait cet autre miracle que saint Vincent ne s’exprimait que dans son dialecte valenciano et que tout le monde le comprenait, d’Italie en Allemagne et de Lorraine en Basse-Bretagne.
De retour à Vannes, les religieux qui l’accompagnaient, voyant qu’il allait mourir, lui dirent qu’il devrait retourner dans son pays. « Mais luy, se souvenant de ce que Nostre Seigneur luy avoit dit, lors qu'il luy apparut en Avignon, qu'il devoit mourir preschant l'Evangile es contrées Occidentales, il jugea que c'estoit en ce pais où il devoit mourir. » Ses confrères lui ayant fait admettre que Valence est aussi en Occident, il se résolut à leur obéir. A minuit, pour éviter les foules, saint Vincent sur son pauvre âne et sa suite quittèrent Vannes. Au petit matin, toute la troupe, qui se croyait loin, se retrouva devant les remparts de la ville… « Lors le Glorieux Saint, se tournant vers ses Confrères, leur dist : Sus, mes Frères, retournons en ville, car cecy ne signifie autre chose, sinon que c'est la volonté de Dieu, que je meure en ce pays. »
Il mourut peu après, et à son enterrement il y eut une foule gigantesque – « Vous eussiez dit que toute la Bretagne se fust rendue à Vennes » - et un déluge de miracles.
Le duc Jean V demanda aux évêques de Bretagne de rassembler les témoignages sur Vincent, qui furent transmis au pape Eugène IV. Après le duc François Ier qui se montra moins fervent, le duc Pierre II relança le processus. Le pape était alors Nicolas V. Il fit mener une enquête dans les principaux lieux où était passé le prédicateur, et, en 1455, les conclusions étaient prêtes à être lues au consistoire lorsque le pape mourut. Les cardinaux élirent le cardinal Alphonse Borgia qui prit le nom de Calixte III et c’est lui qui canonisa Vincent Ferrier.
Quelque 50 ans plus tôt, après un prêche de Vincent à Valence, un jeune et déjà célèbre avocat de la ville était allé le saluer et lui demander sa bénédiction. Vincent l’avait regardé et lui avait dit : « Sachez, mon fils, que le temps viendra que vous serez la gloire de votre famille et de votre patrie ; que vous serez élevé à la première dignité du monde ; et que, quand je ne serai plus dans cette vie mortelle, vous me ferez le plus grand honneur qu’on puisse recevoir dans l’Eglise de Dieu. Souvenez-vous de ce que je vous dis, afin que cela vous serve à vous exciter de plus en plus à la vertu. » Le jeune et brillant avocat était Alonso de Borja, qui deviendrait le cardinal Alfonso Borgia (par bulle de Martin V), et le premier pape de cette étonnante famille…