L’admiration d’Ambroise [de Milan] pour Eusèbe se fondait avant tout sur le fait que l’évêque de Verceil gouvernait son diocèse par le témoignage de sa vie : « Il gouvernait son Église par l’austérité du jeûne ». De fait, Ambroise était fasciné, comme il le reconnaît lui-même, par l’idéal monastique de la contemplation de Dieu, à laquelle Eusèbe s’était livré sur le modèle du prophète Élie. Ambroise note qu’Eusèbe commença par rassembler son clergé in vita communis, et le forma à « l’observance des règles monastiques, bien que vivant au milieu de la ville ». L’évêque et son clergé devaient partager les problèmes de leurs concitoyens, et ils les faisaient de façon crédible précisément en cultivant en même temps une citoyenneté différente, celle du ciel (cf. He 13, 14). Ainsi ont-ils construit une véritable citoyenneté, une véritable solidarité entre les citoyens de Verceil.
C’est ainsi que, tandis qu’il faisait sienne la cause de la sancta plebs de Verceil, Eusèbe vivait au milieu de la ville comme un moine, ouvrant la cité à Dieu. Ce « caractère monastique » n’ôte donc rien à l’exemplarité de son dynamisme pastoral : il semble ainsi, entre autres choses, qu’il ait institué à Verceil des lieux paroissiaux en vue d’un service ecclésial ordinaire et stable, et qu’il ait promu des sanctuaires mariaux pour la conversion des populations rurales païennes. Plutôt même, un tel caractère conférait une dimension particulière aux relations entre l’évêque et sa ville. Comme auparavant les Apôtres, pour lesquels Jésus pria lors de la Dernière Cène, les pasteurs et les fidèles de l’Église « sont dans le monde » (Jn 17, 11), mais « ne sont pas du monde ». C’est pourquoi les pasteurs, comme le leur rappelait Eusèbe, doivent exhorter les fidèles à ne pas considérer les cités du monde comme leurs demeures stables, mais doivent rechercher la Cité future, la Jérusalem définitive du ciel. Cette « réserve eschatologique » permet aux pasteurs et aux fidèles de conserver la juste échelle des valeurs, sans jamais se plier aux modes du moment ou aux prétentions injustes du pouvoir politique en place. La notion authentique des valeurs, semble nous enseigner Eusèbe par toute sa vie, n’est pas donnée par les empereurs d’hier ou d’aujourd’hui, mais par Jésus-Christ, l’Homme parfait, égal au Père dans la divinité et pourtant homme comme nous. Se référant à cette échelle des valeurs, Eusèbe ne se lasse pas de « recommander chaudement » à ses fidèles de « garder la foi avec le plus grand soin, de maintenir la concorde, d’être assidus à l’oraison ».