Un livre vient de paraître en Italie sur Jean-Paul II, avec divers témoignages dont un de Benoît XVI. Le pape émérite évoque divers aspects, et revient sur le document Dominus Jesus de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce texte avait provoqué une énorme polémique au-dedans et au-dehors de l’Eglise (et le cardinal Kasper n’avait pas été le dernier à se répandre…). Pour minimiser la portée du document, certains tentaient de faire valoir qu’il n’avait pas été vraiment validé par Jean-Paul II. C’est oublier que Jean-Paul II l’avait ouvertement revendiqué lors d’un Angélus, et Benoît XVI révèle aujourd’hui que le pape lui avait demandé de rédiger le texte même de cet angélus.
Voici ce que dit Benoît XVI, dans la traduction de Sandro Magister :
Parmi les documents qui concernent différents aspects de l'œcuménisme, celui qui a suscité les plus fortes réactions a été la déclaration "Dominus Jesus", publiée en 2000, qui résume les éléments non négociables de la foi catholique. […]
Face au tourbillon qui s’était développé autour de "Dominus Jesus", Jean-Paul II m’annonça qu’il avait l’intention de défendre ce document de manière tout à fait claire lors de l’Angélus.
Il m’invita à rédiger pour l'Angélus un texte qui soit, pour ainsi dire, étanche et qui ne permette aucune interprétation différente. Il fallait montrer de manière tout à fait indiscutable qu’il approuvait inconditionnellement le document.
Je préparai donc un bref discours. Toutefois je n’avais pas l’intention d’être trop brusque ; je cherchai donc à m’exprimer avec clarté mais sans dureté. Après l’avoir lu, le pape me demanda encore une fois : "Est-ce que c’est vraiment assez clair ?". Je lui répondis que oui.
Ceux qui connaissent les théologiens ne seront pas étonnés d’apprendre que, malgré cela, il y a eu par la suite des gens qui ont soutenu que le pape avait pris prudemment ses distances par rapport à ce texte.
C’était l’angélus du 1er octobre 2000. Le texte du cardinal Ratzinger que Jean-Paul II faisait sien commençait ainsi :
Au sommet de l'Année jubilaire, avec la Déclaration Dominus Iesus - Jésus est le Seigneur - que j'ai approuvée de façon particulière, j'ai voulu inviter tous les chrétiens à renouveler leur adhésion à Lui dans la joie de la foi, en témoignant de façon unanime qu'il est, également aujourd'hui et demain, "le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14, 6). Notre confession du Christ comme unique Fils, à travers lequel nous voyons nous-mêmes le visage du Père (cf. Jn 14, 8), n'est pas l'arrogance de celui qui méprise les autres religions, mais une reconnaissance joyeuse car le Christ s'est montré à nous sans que nous n'en ayons aucun mérite. Et, dans le même temps, Il nous a engagés à continuer à donner ce que nous avons reçu, et également à communiquer aux autres ce qui nous a été donné, car la Vérité donnée et l'Amour qui est Dieu appartiennent à tous les hommes.
Et il se terminait ainsi :
J'ai espoir que cette Déclaration qui me tient à cœur, après tant d'interprétations erronées, puisse finalement jouer son rôle de clarification et, dans le même temps, d'ouverture. Que Marie, à qui le Seigneur sur la Croix nous a confiés en tant que Mère à tous, nous aide à croître ensemble dans la foi en Christ, Rédempteur de tous les hommes, dans l'espérance du salut, offert par le Christ à tous, et dans l'amour, qui est le signe des fils de Dieu.
Commentaires
Bonjour,
1. Je suis demandeur et preneur de toute suggestion pratique, pour pouvoir essayer, si possible avec d'autres, de faire en sorte que ce document important commence enfin à échapper à la conspiration du silence dont il est l'objet et la victime, au sein même de l'Eglise catholique, depuis bientôt quinze ans.
2. Il me semble par ailleurs que le Compendium du Catéchisme de l'Eglise catholique, paru en 2005, est soumis, lui aussi, à la même conspiration du silence, d'inspiration ou d'origine épiscopale ou théologienne.
3. Que voulez-vous, il y a des clercs qui se croient à la fois d'autant plus authentiques et d'autant plus intelligents, d'autant plus charitables et d'autant plus compréhensifs, dans leurs relations avec Dieu, l'Eglise, l'homme et le monde, qu'ils prennent soin de faire en sorte que presque personne ne connaisse ou ne comprenne, ne fasse connaître ou ne fasse comprendre, Dominus Iesus.
4. Se pose ici la question du rôle et du statut de la normativité et de l'objectivité, au coeur de la Foi catholique.
5. J'ai déjà écrit ici même que, notamment pour Saint Augustin, la prise en charge de la question de la subjectivité et celle de la question de la spiritualité vont de pair ; mais cette double prise en charge est complétée par celle de la question de la régularité, qui n'est pas ennemie de la subjectivité ni de la spiritualité, ni opposée à la prise en charge des questions qu'elles posent.
6. Celle-ci, ce qui est régulier étant à la fois fréquent et normé, est indispensable à l'explicitation de la structure et de la substance de la Foi catholique, sans que cela soit préjudiciable à la véritable dignité ni à la liberté responsable de l'être humain, en l'occurrence dans le domaine du croire en Dieu.
7. D'aucuns considèrent que le relativisme, l'antichambre intellectuelle du subjectivisme, est plus dangereux dans son principe, ou plus inquiétant, dans la pratique, dans l'ordre de l'agir humain, que dans l'ordre du croire chrétien (si je puis m'exprimer ainsi, car c'est l'agir chrétien, et non un simple agir humain, qui a vocation à découler du croire chrétien).
8. A mon avis, rien n'est plus faux que cette considération dédramatisante ; certes, les conséquences de l'adhésion ou de la soumission au couple relativisme-subjectivisme sont plus facilement perceptibles, quand elles se déploient au coeur de l'agir concret des êtres concrets, donc au coeur d'un agir pleinement visible, notamment dans la sphère publique.
9. Mais il n'est pas totalement impossible de considérer
- que le relativisme et le subjectivisme en matière morale sont les conséquences du relativisme et du subjectivisme en matière religieuse, si l'on observe ce qui s'est passé en Europe, à partir du début du XVI° siècle,
- qu'il est illusoire de vouloir contrer le relativisme et le subjectivisme en matière morale, en se plaçant uniquement sur le terrain de la morale, quitte à ce que cela soit en mettant en avant, mais d'une manière qui serait, alors, biaisée, les principes ou les valeurs non négociables.
10. L'Eglise catholique, en tant que structure de grâce, au service de la conservation ET de la propagation de la Foi, de l'Espérance, de la Charité, ne peut qu'être fragilisée, voire dénaturée, par le confinement consensuel de Veritatis Splendor, Evangelium Vitae, Fides et Ratio, Dominus Iesus, et du Compendium du Catéchisme, à l'intérieur d'un sarcophage adogmatique et oecuméniste bien plus robuste et solide que celui de Tchernobyl.
11. C'est que l'on ne veut plus que la vérité objective rayonne, soit connue et comprise en tant que telle, au point de déplaire ou de déranger, et l'on ne veut plus que les hommes aient une relation d'adhésion à la religion chrétienne qui s'exprimerait, notablement, dans les termes suivants :
- adhésion à, et approbation de la vérité objective, en matière religieuse,
ET
- abandon ou dénonciation des erreurs, en matière religieuse, qui éloignent de, ou s'opposent à la vérité objective, en l'occurrence dans l'ordre du croire.
12. Je termine ce message en rappelant les conséquences les plus prévisibles de la banalisation de la vision de ceux qui considèrent que la théologie partisane de la légitimation ou de la valorisation du pluralisme religieux constitue "la pointe avancée de la théologie chrétienne" : immanquablement, il en découlera bientôt, si ce n'est déjà fait, que la théologie partisane de l'authenticité et de la valorisation de la seule vraie religion constituera, pour beaucoup, la pointe "attardée", "dépassée" ou "périmée", de la théologie chrétienne.
Bonne journée.
A Z
Merci AZ pour cette analyse.
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