Extraits du commentaire de saint Augustin (Traité 38 sur saint Jean) de l’évangile du jour (Jean 8 21-29).
« Je m’en vais ».
Pour le Christ Seigneur, la mort a été un départ pour là d’où il était venu et d’où il n’était pas sorti.
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« Si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés ».
Donc, si vous croyez que Je Suis, vous ne mourrez pas dans vos péchés. (…)
Seigneur notre Dieu, qu’avez-vous dit en prononçant ces paroles: « Si vous ne, croyez pas que je suis? » De toutes les choses que vous avez faites, en est-il une seule qui ne soit pas? Le ciel, la terre, tout ce que le ciel et la terre renferment, l’homme à qui vous adressez la parole, et les anges, qui sont vos messagers, ne sont-ils pas? Toutes les créatures sorties de vos mains sont donc; alors comment vous êtes-vous réservé l’être lui-même, l’être que vous n’avez communiqué à personne et que vous seul possédez ? « Je suis Celui qui suis » ; ces paroles signifient-elles que tous les autres êtres ne sont pas ? Et ces autres paroles : « Si vous ne croyez pas que Je Suis », ont-elles le même sens? Et ceux qui les entendaient n’étaient-ils pas non plus? Eussent-ils été des pécheurs, ils étaient du moins des hommes. Mais que fais-je? Qu’est-ce que l’être? Daigne le Sauveur le dire à mon cœur, me le dire intérieurement, m’en parler dans le secret de mon âme ! Que l’homme intérieur l’entende ! Puisse mon esprit comprendre ce que c’est qu’être réellement ! Etre, c’est ne subir jamais aucun changement. (….) Une chose quelconque, si excellente qu’elle soit, n’existe vraiment pas dès qu’elle est sujette au changement; l’être véritable ne se trouve pas là où se trouvent en même temps l’être et le non-être. Tout ce qui peut changer n’est plus, dès lors qu’il change; ce qu’il était auparavant; s’il n’est plus ce qu’il était, il a subi une sorte de mort; ce qui était en lui précédemment a été enlevé et n’y est plus. (…) Dans toutes nos actions et toutes nos agitations, en n’importe quel mouvement d’une créature, je trouve deux temps, le passé et le futur. Je cherche le présent, il n’est déjà plus ; ce que je dis est déjà loin de moi; ce que je dirai n’existe pas encore. Ce que j’ai fait n’est plus, ce que je ferai n’est pas encore : il ne reste plus vestige de ma vie passée ; ce qui me reste à vivre est encore dans le néant. Le prétérit et le futur se rencontrent dans tout changement des choses, mais ils ne se trouvent ni l’un ni l’autre dans l’immuable vérité; je n’y vois que le présent, et cela sans ombre de vicissitude; il n’en est pas ainsi des créatures. Examine attentivement les variations des choses; toujours tu remarqueras qu’elles ont été et qu’elles seront; que si tu reportes tes pensées vers Dieu, tu verras qu’il est, parce qu’on ne peut rencontrer en lui ni passé ni avenir. Pour que tu sois, il faut que tu t’élèves au-delà des limites du temps. (…)
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« Qui es-tu, afin que nous croyions ? » Et lui : « Le Principe. »
Je suis le Principe. Voilà bien ce que c’est qu’être. Le Principe ne peut subir de vicissitude; il demeure en lui-même et renouvelle toutes choses ; c’est à lui qu’il a été dit : « Tu es éternellement le même, et tes années ne passeront pas. » (…)
Et il ajouta : « parce que je vous parle » (1), c’est-à-dire, parce je suis devenu humble à cause de vous et que je me suis abaissé pour vous dire ces paroles. En effet, si le Principe tel qu’il est était demeuré dans le sein du Père, de manière à ne jamais se revêtir de la forme d’esclave, à ne jamais devenir homme pour parler aux hommes, comment ceux-ci auraient-ils cru en lui? Des esprits nécessairement bornés eussent été incapables d’entendre sans le secours de la parole et de comprendre le Verbe. Croyez donc, leur dit-il, que je suis le Principe : parce que, pour que vous croyiez, il ne me suffit pas d’être, il faut aussi que je vous parle.
(1) La Vulgate sixto-clémentine dit : « Ego Principium, qui et loquor vobis », ce qui est aussi l’antienne du Benedictus : je suis le Principe, moi qui vous parle. Le texte qu’avait saint Augustin disait « quia et loquor vobis » : parce que je vous parle. C’est ce qu’on lit aussi dans un certain nombre de manuscrits de la Vulgate, et qui a été retenu par la Vulgate de Stuttgart.