Vers la fin du IVe siècle ou le début du Ve, un veuf, à Syracuse, édifiant à sa femme un tombeau, y gravait cette inscription : « Euskia, l'irréprochable, ayant vécu bonne et pure pendant vingt-cinq ans environ, mourut dans la fête de ma sainte Lucie, pour laquelle il n'y a pas d'éloge digne d'elle. Euskia fut chrétienne fidèle, parfaite, multipliant pour son mari les occasions de lui être agréable. » Lorsque des fouilles, en 1894, révélèrent ce document vieux de quinze siècles, il apparut une fois de plus que l'archéologie comblait les lacunes de l'histoire, et que l'éloquence des pierres rachetait l'insécurité des textes. Car, pour attester que sainte Lucie, martyre en 304, avait été rapidement vénérée, on ne pouvait alléguer, jusque-là, aucun témoignage écrit plus ancien que le Martyrologe Hiéronymien, qui date du VIe siècle. Quant aux Actes mêmes de la sainte, dont les premières versions ne paraissent guère antérieures à l'année 550, Tillemont estimait qu'« assez bien écrits, ils ne peuvent pas néanmoins passer pour une autorité fort considérable » ; et Ruinart, dans sa collection d'Actes des Martyrs, les omettait. Mais l'inscription syracusaine que l'année 1894 ramenait à la lumière confirmait d’une façon décisive les allégations des Actes au sujet d'un culte rendu de très bonne heure à sainte Lucie. Epanchant sur une pierre tombale sa douleur et sa ferveur, un mari en deuil disait : « ma sainte Lucie, τῆς Ἁγίας μου Λουκίας » ; et puis, insistant, il la déclarait supérieure à tout éloge ; sa piété, précieusement prolixe, signalait la fête de cette sainte et mentionnait que ce jour-là Euskia, sa femme, avait cessé de vivre.
Les premiers interprètes de l'inscription s'arrêtaient devant le nom d’Euskia, qui signifie, en grec, « bien ombragée » : ils observaient un contraste entre cette idée d'ombre et le flot de lumière qui semble jaillir du nom même de Lucie ; et cette façon d'antithèse les frappait. Euskia, était-ce bien le nom qu'avait effectivement porté la défunte dans sa vie terrestre ? Qui sait si l'ingéniosité de son mari ne l'avait pas ainsi baptisée, au delà du trépas, afin de l'ombrager en quelque sorte sous la lumineuse protection de Lucie, à moins qu'il ne voulût faire allusion, peut-être, à quelque mal d'yeux dont naguère Lucie l'aurait guérie ?
Et tandis que les épigraphistes s'efforçaient à déchiffrer ces pieuses intentions, la vieille pierre tombale attestait que Lucie, la voyante qui fait voir — cette céleste Lucie qu'honorera la dévotion du moyen âge et que l’art de la Renaissance fêtera — avait peut-être prévalu, dès ici-bas, sur les ombres de la cécité, et certainement sur celles de la mort, en baignant d'une radieuse atmosphère, au-delà du sépulcre, Euskia la « bien ombragée ».
Début de Sainte Lucie, par Georges Goyau, 1922.
Commentaires
"il apparut une fois de plus que l'archéologie comblait les lacunes de l'histoire, et que l'éloquence des pierres rachetait l'insécurité des textes. Car, pour attester que sainte Lucie, martyre en 304, avait été rapidement vénérée, on ne pouvait alléguer, jusque-là, aucun témoignage écrit plus ancien que le Martyrologe Hiéronymien, qui date du VIe siècle. "
Nos contempteurs des traditions ont l'habitude de conclure d'une inexistence de preuve à la preuve d'une inexistence. Ce qui est un paralogisme. Cette faute de raisonnement trouble les gens pieux (notamment ceux qui ont la piété nationale, locale). La Providence permet parfois de prouver... les erreurs des pourfendeurs de traditions.
À Marseille, Mgr Pontier, veut fêter les 800 ans de "présence chrétienne" sur la colline de Notre-Dame de la Garde... Alors qu'il ne s'agit que de documents juridiques prouvant l'érection d'un lieu de culte à cette époque (1214). Il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres.