Le rapport parlementaire « fait au nom de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés » paraît n’avoir guère suscité l’attention des médias. Sans doute à cause de son titre politiquement correct, qui refuse l’« amalgame » et la « stigmatisation ». Il pousse même l’hypocrisie jusqu’à commencer par une analyse des menaces terroristes de « l’ultra-gauche », de « l’extrême droite radicale », des « mouvances corses et basques », en trois paragraphes, alors que tout le reste du rapport concerne bien évidemment le terrorisme islamique, qui était le seul objet réel de l’enquête. (On notera que le seul acte terroriste imputé à « l’extrême droite radicale » est la brève occupation du toit d’une mosquée en construction à Poitiers…)
La Croix a néanmoins interrogé le rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, et ses propos reproduits par l’Observatoire de l’islamisation ne sont pas sans intérêt. Ainsi souligne-t-il que la surveillance de « l’islam de France » ne peut qu’être très superficielle, puisque sur le plan national cinq agents des services de renseignement en sont chargés, et que sur le plan local il en est de même : ainsi à Marseille deux policiers sont chargés de la surveillance des mosquées... « On est très loin d’écouter tous les prêches des imams de France chaque vendredi ! » Au détour de l’entretien on apprend aussi que les « prières de rue » sont « encore nombreuses, contrairement à ce que l’on dit parfois ».
Dans le rapport lui-même, on peut lire par exemple ceci :
« Il convient de ne pas écarter le risque d’un attentat sur le territoire national commandité de l’étranger, réalisé par une cellule terroriste extérieure ou par des individus résidant en France et formés à l’étranger. Ancien directeur du contre-terrorisme puis directeur adjoint de la DST jusqu’en février 2007, Jean-François Clair souligne que ce type d’action est « de plus en plus le fait de jeunes qui sont nés ou ont grandi en France, sont extrêmement réactifs et prêts à aller combattre ou s’entraîner au combat dans les pays musulmans où se déroulent des conflits : l’Afghanistan […], la Tchétchénie, l’Irak, la Somalie […], la Syrie et le Sahel ».
« À l’appui de cette thèse, on constate le développement très préoccupant des filières djihadistes à destination des zones d’instabilité. Si l’opération Serval au Mali a endigué un mouvement vers le Sahel qui tendait à s’amorcer à la faveur de la sanctuarisation des groupes (katibates) djihadistes, la Syrie est devenue dans le même temps un enjeu d’implantation des groupes de cette mouvance, dont Jabhat al Nousra est le porte-étendard local. À ce sujet, une personne entendue par la commission d’enquête a qualifié d’« exponentiel » le nombre de jeunes allant « faire le djihad » dans ce pays. Le phénomène n’est d’ailleurs pas propre à la France : des effectifs de volontaires convergent vers la Syrie depuis toute l’Europe. Plusieurs dizaines de Français ou de résidents français combattent dans les rangs des groupes islamistes dans ce pays, groupes dont les objectifs et les méthodes sont clairement terroristes. L’allégeance récente du groupe Jabhat al Nousra à Al-Qaida a en ce sens levé toute ambiguïté. À tout moment, ces hommes peuvent être amenés à tenter de commettre des attentats sur notre territoire.
« L’attrait pour la Syrie s’explique aussi pour partie par le fait qu’il s’agit d’une terre de djihad qu’il est aisé de rallier depuis l’Europe. La plupart des candidats djihadistes prennent un vol pour Istanbul puis rejoignent en car ou en voiture la frontière turco-syrienne, dénuée de contrôles efficaces.
« Par ailleurs, les conséquences du Printemps arabe ont plus encore brouillé les cartes. Non seulement le contexte est favorable aux mouvements islamistes, mais la montée des risques djihadistes dans certains pays, comme la Tunisie, contribue à rapprocher la menace terroriste de nos frontières.
« De surcroît, la Libye et l’Égypte sont en proie à des difficultés sécuritaires très importantes. Le salafisme violent s’y développe. Des réseaux de trafic d’armes (en provenance notamment des stocks de l’armée libyenne de l’ancien régime) et des réseaux de transit de volontaires sont particulièrement actifs dans cette région. »
Comme quoi même nos députés peuvent dire des vérités. Entre eux.