Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le cardinal Zen : Benoît XVI, le Saint-Siège et la Chine

L’agence Asianews publie un texte fort intéressant du cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong, auteur des méditations du chemin de croix du pape en 2008, et qui n’est pas, comme on le sait, un adepte de la langue de bois. Voici une rapide traduction de ce texte.

Benoît XVI est un grand pape, un homme amoureux de la vérité. Pour lui, Dieu est la vérité, et l’homme ne peut pas vivre sans la vérité. Malheureusement, aujourd’hui, la vérité n’est pas « à la mode », et ce qui domine réellement est ce que Benoît XVI a qualifié de « dictature du relativisme ». Mais il a toujours tenu la barre pour garder le cap selon la vérité. Cela est sa contribution à la culture mondiale, et aussi à la Chine. Il faut ajouter que ce pape a fait pour la Chine ce qu’il n’a fait pour aucun autre pays : à aucune autre Eglise particulière il n’a écrit une lettre spécifique, aucun pays n’a une commission spéciale issue des deux plus importants dicastères du Saint-Siège, d’une trentaine de membres, qui lui soit dédiée. Nous devons lui en être profondément reconnaissants.

Mais, malheureusement, je dois ajouter que, souvent, il a été une voix isolée dans le désert. Je l’ai dit et je le répète : son travail a été ruiné par d’autres qui sont proches de lui, qui ne suivaient pas sa ligne. Je n’ai pas à juger les consciences : il est probable que ces conseillers pensaient que peut-être il n’en savait pas assez sur la situation, qu’il n’était pas en mesure de suivre la bonne stratégie. Quoi qu’il en soit, ces gens-là n’ont pas mis en œuvre ce que Benoît XVI avait établi comme lignes directrices pour l’Eglise en Chine.

En disant « d’autres », j’entends des gens du Vatican, mais aussi des gens de l’extérieur qui, sans l’aide du Saint-Siège, n’auraient pas fait tant de dégâts. C’est une situation très désagréable, bien qu’elle montre un autre aspect de la personnalité de Benoît XVI : il est absolument ferme en ce qui concerne la vérité, mais il est très respectueux des gens autour de lui, très – peut-être trop – poli : un homme doux, qui n’utilise jamais la force.

Ce n’est pas une faiblesse, c’est l’autre face d’un de ses grands mérites, la gentillesse, le respect, la pitié, exactement l’opposé de la façon dont il a souvent été dépeint (le « conservateur », le « panzer », l’« inquisiteur », etc.).

Moi aussi, parfois, j’ai été impatient et j’ai trouvé qu’il était trop déférent. Ces dernières années j’ai continué d’insister sur ce point parce que, en Chine, les gens sont très simples et ils identifient facilement le Saint-Siège au pape. Or il faut dire que beaucoup de ce qui a été fait en Chine n’est pas toujours attribuable au Saint-Père.

 

Le Vatican et le compromis à tout prix

 

Quelle influence ont eues la Lettre et la commission sur l’Egllise en Chine ?

La Lettre est d’une très grande importance encore aujourd’hui : premièrement, il s’agit d’un document et cela demeure, et nous pouvons nous y référer plus tard. J’espère que le nouveau pape recommencera à partir de cette Lettre. Elle a été écrite par Benoît XVI, mais avec la participation de nombreuses personnes. Et elle a montré sa clarté dans la foi, aussi bien que sa compassion et sa gentillesse. Il y a un équilibre parfait entre la simplicité et l’ouverture d’esprit. Cet équilibre a été perturbé par une manipulation dans la traduction chinoise et une interprétation tendancieuse.

En ce qui concerne la commission, je pense qu’on a perdu une immense opportunité. Comment est-il possible qu’une assemblée de 30 personnes, dans une réunion plénière de trois jours, soit ainsi contrecarrée ? Il est nécessaire que les consciences s’examinent si l’on veut vraiment comprendre pourquoi cet organisme ne fonctionne pas à l’intérieur du Saint-Siège.

Une étude sérieuse est nécessaire pour faire en sorte que cette commission fonctionne efficacement. Bien sûr, elle est consultative par nature, et le pape a le dernier mot, mais la commission doit alors mettre en œuvre la décision ! Parfois j’ai eu l’impression que les chefs de service conseillaient directement le pape sur la politique à suivre et les gestes à faire, contournant l’avis de grande valeur, parfois unanime, de la commission.

Dès le début, à mon avis, une mauvaise stratégie a été suivie : la stratégie de compromis à tout prix avec Pékin.

Une fois, face à face avec le Saint-Père, je lui ai dit qu’il était en train de suivre la voie du compromis jusqu’au bout. Il a corrigé : « Eh bien, peut-être pas jusqu’au bout, c’est une question de degrés. » On pourrait dire que parfois il exagérait, cédant à la pression, pensant que c’était la seule façon pour l’Eglise en Chine de survivre. De cette manière, au lieu d’encourager une attitude ferme, c’est la soumission qui était encouragée. Bien sûr, les évêques en Chine sont face à un mur et sont soumis à de puissantes pressions, mais ceux qui peuvent parler librement, comme moi, nous devait dire les choses vraies, en encourageant les témoins de la foi.

Le pape lui-même, face aux événements en Chine, a toujours appelé au « courage ». En revanche, ceux qui sont autour de lui parlaient de « compassion », de « compréhension », de « patience », en exagérant et en cédant du terrain bien au-delà des limites acceptables, contre le consensus de la majorité de la commission. La compassion est nécessaire, mais le respect de la vérité et de la doctrine de la foi catholique l’est aussi. En ce qui concerne la vérité, nous pouvons fonder notre conclusion sur les informations que nous recevons de nombreux fidèles et prêtres de Chine, la pars potior, la meilleure partie de l’Eglise en Chine, qui n’appartient ni aux franges radicales ni aux franges libérales. Les fidèles, qui ont toujours le sens de l’Eglise – pas seulement les fidèles de l’Eglise clandestine, mais aussi ceux de l’Eglise officielle, souffrent profondément de cette attitude de compromis. Il serait utile de traduire toutes ces plaintes que les chrétiens de Chine publient sur internet, un peuple qui gémit des ambiguïtés qui dominent les évêques et les opportunistes.

Nous sommes confrontés à un ennemi qui abîme non seulement l’Eglise, mais aussi la Chine, notre patrie. Il y a des représentants du gouvernement et des personnalités ecclésiastiques qui poursuivent leurs propres intérêts de façon indécente, asservissant les évêques de l’Eglise officielle par d’énormes pressions ; les menant par le bout du nez ; les obligeant à participer à des ordinations illicites, faisant des alliances avec les pires éléments. J’ai une profonde suspicion : si un jour les dirigeants suprême de la Chine décident de regarder de plus près ces représentants, ils découvriront des horreurs et des atrocités, difficiles à ignorer.

 

Les témoins sont plus forts que les opportunistes

 

Quel espoir y a-t-il pour l’Eglise en Chine ? Il y a quelques jours, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hong Lei, a donné un « conseil » au futur pape, disant que le Vatican « ne devait pas s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine » et devait rompre ses relations avec Taiwan. Pour moi, le Saint-Siège doit ignorer ces clichés et ces accroches que la Chine lance depuis des décennies. Se cacher derrière ces déclarations est honteux de leur part car les dirigeants chinois eux-mêmes sont responsables au premier chef d’avoir détruit le dialogue et la confiance. Non seulement dans le passé, mais aussi récemment. Il faut toujours qu’ils aient le dernier mot, et quand le Saint-Siège ne se plie pas à de nouveaux compromis, ils passent à l’intimidation. Il est temps pour les dirigeants chinois de montrer un minimum de sincérité. Malheureusement, même maintenant, il y a des gens parmi nous qui nourrissent des illusions, disant que peut-être, avec les nouveaux dirigeant – qui auront le pouvoir en mars -, il y aura de nouvelles possibilités. Bien sûr, nous devons nous accrocher à un petit peu d’optimisme. Lorsque, comme maintenant, de nouveaux dirigeants sont sur le point de prendre les rênes, il faut leur donner une chance, mais nous devons aussi être réalistes : nous devons dénoncer à ces dirigeants une situation vraiment horrible.

Quant à moi, plus je vois le nouveau chef, XI Jinping, plus je commence à perdre espoir. Lors de sa visite à Guangdong dans le sud, il a dit qu’il fallait empêcher ce qui s’est passé en Russie : en donnant même un peu, vous risquez de perdre le pouvoir que vous avez gagné. Cela signifie qu’il pense toujours en termes de dictature du parti. En revanche, à Pékin, il réprimande ses plus proches collaborateurs, les avertissant que s’ils ne sont pas honnêtes et ne changent pas et ne rejettent pas la corruption, ils pourraient perdre le pouvoir. Cela signifie qu’il ne pense qu’à la perpétuation de la mainmise du parti sur le pouvoir. Selon moi c’est impossible : le parti est aujourd’hui tellement corrompu que sans la participation du peuple il ne se nettoiera pas lui-même. Sans un minimum de démocratie, il est impossible pour le parti de guérir.

Il en est de même dans l’Eglise officielle, particulièrement parmi ses dirigeants. Mais j’ai une grande confiance dans le peuple et les prêtres qui, bien qu’ils soient désorientés – avec des évêques indignes de ce nom – acceptent de souffrir, d’aller en prison pour la foi et continuent d’évangéliser. Selon moi, ces gens sont ceux qui sauvent la foi en Chine.

Il y a des prêtres qui sont arrêtés, interrogés, frappés, torturés, emprisonnés pendant des jours, mais qui ne renoncent pas à leur foi et à leur amour pour le Saint-Père ; de nombreux prêtres n’accepteront pas les ordinations illégales, il y a le cas de Mgr Ma Daqin, l’évêque auxiliaire de Shanghai, qui après avoir décidé de quitter l’Association patriotique a été mis en résidence surveillée. Malheureusement, même dans son cas, le Saint-Siège a été trop prudent, il n’a pas soutenu ce choix de tout son poids, optant pour une politique de prudence et de modération. Et nous avons perdu une opportunité d’aider les autres évêques en Chine : alors que Mgr Ma est privé de liberté, ils – en particulier les dirigeants de la soi-disant Conférence des évêques chinois – se font trimballer dans des voitures bleues aux frais du parti, mangent et boivent dans des banquets, et en échange de leur obéissance au parti font des gestes contre le pape.

La commission des évêques qui a condamné Ma Daqin était présidée par le directeur de l’administration sociale du bureau des Affaires religieuses, Wang Zuoan. Cet homme même qui a peur de prendre des décisions et qui se cache derrière l’Eglise et les évêques, en les utilisant comme des marionnettes. En fait, et c’est une source de vraie douleur, à travers lui, un parti athée gère la vie de l’Eglise et de toutes les religions.

Commentaires

  • Encore et toujours la politique du ralliement en Chine comme ailleurs. Est-ce qu'on pourra un jour tirer une leçon des erreurs du passé et cesser de trahir les chrétiens "réels" pour pactiser avec le "monde" (au sens que lui donne saint Jean?)

Les commentaires sont fermés.