La mort de dix soldats français commence à délier les langues sur ce qui se passe en Afghanistan. Témoin Le Figaro de ce jour, avec un article intitulé “Les provinces basculent du côté de la rébellion”. Extraits :
« Les erreurs de la coalition occidentale et l'impéritie de l'administration Karzaï ont poussé les Pachtounes dans les bras des talibans.
« On le savait, les spécialistes le savaient, mais personne ne le disait jamais vraiment dans des états-majors de l'Otan. L'Afghanistan est en guerre, les insurgés afghans sont des adversaires sérieux, qui n'opèrent plus seulement dans les lointaines provinces du Sud pachtoune, mais sont maintenant aux portes de Kaboul.
« Les insurgés, dont les talibans ne représentent qu'une fraction dominante, ne se sont pas forcément déplacés, même s'ils franchissent régulièrement la non-frontière pakistanaise pour se ravitailler. Les anciens étudiants en religion et leurs alliés n'ont pas repris de terrain en l'occupant. C'est surtout leur idéologie qui a regagné au cours des deux dernières années les clans et les tribus pachtounes des provinces voisines de la capitale : Parwan et Kapissa au nord de la ville, le Laghman et le Loghar à l'est, le Wardak et le Nangarhar au sud ont toutes, petit à petit, basculé du côté de l'insurrection. Les routes sont devenues d'abord dangereuses, puis impraticables. Les insurgés organisant à présent des points de contrôle en plein jour.
« Les talibans ont ainsi réussi en quelques années, par un mélange classique de propagande habile et d'intimidation, à se remettre à flot politiquement, en se présentant comme des patriotes afghans luttant contre un envahisseur étranger, thème efficace dans ce pays jaloux de son indépendance. Les bavures de l'aviation de l'Otan, les erreurs et l'impéritie de l'administration de Hamid Karzaï ont fait le reste. Ils disputent à présent les provinces pachtounes du Sud et de l'Est au gouvernement.
« Sarobi est le parfait exemple de ce basculement idéologique de provinces entières. Cette région, en majorité pachtoune, est un fief du Hezb-Islami, le parti de Goulbouddine Hekmatyar, l'ancien rival du commandant Massoud. Ce vétéran du djihad contre les Soviétiques n'avait jamais été allié aux talibans. Leur rapprochement s'est effectué après 2001, à la faveur de la nouvelle guerre contre l'Otan. L'est de la province de Kapissa et le district de Sarobi ont ainsi basculé dans l'insurrection. »
Voir la suite. Et voici la conclusion :
« Ainsi, au lieu de mener contre les talibans une guerre de commandos, de tendre des embuscades la nuit à leurs colonnes, l'Otan et ses alliés afghans font de la contre-guérilla à l'aveuglette, à coups de bombes de précision et de convois blindés, dépendant des routes et de l'air pour leur ravitaillement. Les statistiques compilées par les états-majors de l'Otan dans des bases climatisées, installées d'ailleurs à l'emplacement même des cantonnements britanniques de 1840 à Kaboul, ou des bases russes de Kandahar ou de Bagram, annoncent la victoire prochaine de l'Otan contre les "terroristes". La réalité sur le terrain pourrait un jour leur donner un démenti. »
Dans le même journal, une interview de Jean-Marc Balencie, ancien analyste au Secrétariat général de la défense nationale, consultant au sein d'un cabinet spécialisé dans les questions de sécurité.
Extraits :
« Ces pertes importantes étaient malheureusement attendues. On assiste depuis le début du printemps à une dégradation de la situation. Au-delà de l'intensification des actions des talibans, on constate un changement d'échelle, une amélioration significative de leur capacité opérationnelle. L'embuscade spectaculaire contre les troupes françaises renvoie à une attaque, tout aussi spectaculaire, en juillet, contre un poste isolé tenu par l'armée américaine, qui fit 9 morts et une quinzaine de blessés parmi les paras américains. Les talibans sont capables d'engager plusieurs dizaines de combattants avec des procédures opérationnelles assez évoluées. Ce sont les fondamentaux d'une insurrection qui fonctionne bien.
« Le cœur de l'équation afghane est que l'on a affaire à une vraie guerre, mais on utilise sans doute les mauvaises solutions. L'un des aspects importants, ce sont les frappes aériennes, qui génèrent des bavures au sein de la population civile et des ralliements aux talibans. Il serait d'ailleurs plus exact de parler aujourd'hui de l'insurrection d'une partie de la population pachtoune, qui associe talibans, mais aussi seigneurs de la guerre, trafiquants de drogue et cette population qui ne supporte pas la présence occidentale. »
En retard d'une guerre, Nicolas Sarkozy continue de parler de « combat contre le terrorisme »...